SALON D'ART ANIMALIER

SALON D'ART ANIMALIER

mardi 19 mai 2009

Canton de Fontainebleau

Canton de Fontainebleau


Forêt de Fontainebleau
1) Et Bleau eut son heure de gloire, la première et la dernière fois (de l’origine de Fontainebleau, le chien Bleau et la Fontaine à Bleau)
2) Mauvaises Bestes et compagnie (les loups et lynx monstrueux de la forêt)
3) François Ier contre Serpent géant (un serpent géant)
4) Nos amis les dragons (le Rocher des Fées)
5) L’abonnée des mauvaises nouvelles (la biche, ou la Dame blanche de la Butte Saint-Louis)
6) De l’art préhistorique considéré comme un témoignage de l’existence des fées (le Rocher des Fées)
7) La mort vous va si bien (Le Grand Veneur et autres spectres anciens et plus anciens encore)
8) Hommage au Dieu Pan, -500 av JC/1960 (autres dimensions)
9) Women in Black (Une femme mystérieuse)
10) Le périple forestier des OVNIS : Fontainebleau express 1954/ 2006 (apparitions d’OVNIS en tous genres)
11) Traditions et coutumes bellifontaines, portrait d’une absence qui dure (arbres vénérés (le Chandelier et le Bouquet du Roi), Pierres à Glissade, la Roche qui Tourne du Rocher d’Avon, l’homme a-t-il sculpté les rochers de la forêt ? Un menhir à l’Escargot, la Roche Qui Pleure de Franchard, la Légende du Juif Errant, la Pierre du Prie-Dieu, le Puits du Cormier)
12) Mentions de dernière minute (légende de Némorosa, la Chaise à Marie, Notre-Dame du Bon-Secours, Euriant de Savoie, le fantôme du prince de Condé)
13) Trésor mouillé pour mare asséché (légende du trésor de la Mare de la Fosselle)
 14) La borne-tombeau du seigneur inconnu (légende du trésor de la borne 48)

Fontainebleau
15) La malédiction de la momie (la momie maudite du Musée Napoléonien)
16) Le Vivier : histoire d’un mariage raté (les amants maudits du Vivier)

Samoreau
17) Roche prophétique, modèle standard (la Roche d’Arquebise)
18)De l’art de faire sa lessive dans plusieurs mares à la fois (La Dame Blanche de la are du Bois Gasseau)
 19) Trésor mouillé pour mare asséché (légende du trésor de la Mare au Sel)

Avon
20) Trésor et souterrains : le cocktail qui tue ( trésor du manoir de Saint-Aubin et fontaine Saint-Aubin)
21) Fontaine pour animaux (La Fontaine aux Biches d'Avon)

Samois
22) L’apocalypse, selon le Rocher de Samois (la Pierre Druidique de Victor Bouquet, et le Rocher de Samois)
23) Au menu : un poisson, des souterrains, des sources miraculeuses, et un saint champion de la peur (l’anneau de Saint-Loup, les souterrains de l’abbaye de Barbeau, les Fontaines Dieu, la Châsse de Saint-Loup, un bon moyen pour avoir un enfant)

Bois-le Roi
24) De la magie d'une trop forte imagination ( l'enfant au visage de grenouille)


Héricy
25) Diable et dame Blanche : étude d’une fontaine (La Fontaine au Diable d'Héricy)
26) Encore une histoire de char englouti (Légende de char englouti du Prieuré)

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                         L’extrémité nord de l’arrondissement de Fontainebleau est occupée en grande partie par les 20 000 hectares de l’ancienne forêt de Bière, lieu célèbre pour ses chaos rocheux de grès, ses déserts de sable et son extraordinaire variété de paysages. Je ne vous apprendrais rien là-dessus. De mon point de vue, il existe une autre particularité à cette forêt : elle est pratiquement dépourvue de légendes et de traditions. Chose étonnante, quand on sait que ses caractéristiques géologiques et la diversité de son milieu naturel avaient tout pour laisser le champ libre au développement d’un légendaire local. Le cas échéant, les endroits où s’inscrit ce genre de récits et de pratiques ne sont jamais très éloignés des habitats. En revanche, une certaine constante dans l’imaginaire ou les faits, s’est toujours plus ou moins maintenue, contribuant au fil des époques à l’élaboration de nouvelles histoires. C’est aussi dans cette forêt que les légendes apparaissent les plus anciennes, sûrement parce que certaines d’entres-elles n’ont pas été rapportées comme telles, mais plutôt comme des faits plus ou moins historiques, réels ou supposés. C’est là également que les écrits sont les plus nombreux. Plusieurs avant moi ont fait tout ce qui fallait pour me mâcher le travail. Je pense notamment à Paul Domet, Henri Froment, Louis Ferrand, et bien d’autres. Ne vous étonnez pas après ça si le texte que vous aller lire a comme un arrière-goût de réchauffé. On prend la matière où elle se trouve. Un dernier point : les légendes bellifontaines font souvent intervenir des animaux, ce qui m’apparaît assez logique dans une forêt, et, puisqu’il va falloir commencer par quelque chose autant le faire avec eux.

Et Bleau eut son heure de gloire, la première et la dernière fois
L'étymologie de Fontainebleau a toujours posé un problème : sa réelle signification. Même si pas mal de monde s’entend pour établir un rapport avec une fontaine, aucune explication valable n’a pourtant encore été trouvée. S’il s’agit bien de cela, à qui ou à quoi pouvons-nous associer cette fontaine ? Personne n’en sait rien. L’une des interprétations autrefois en vogue rattachait l’origine de Fontainebleau aux déboires malheureux d’un chien. Il y a des décennies de ça, les Bauds étaient des chiens de chasse courants de couleur blanche, réputés être les meilleurs. C’était leur nom. On disait aussi bléau ou bliau. Allez savoir pourquoi.
« L’un d’eux, prénommé Bleau donc, favori de son état, avait pour maître un seigneur qui n’était autre que le roi de France de l’époque (certains parlent de saint Louis). Ce roi et son chien passaient du bon temps à chasser dans la grande forêt de Bière. Un jour cependant, le royal compagnon manqua de flair et s’égara dans les bois. Les gens de la cour entreprirent aussitôt de longues recherches. De son côté, Bleau, qui crevait de soif, tomba par hasard sur une source. Celle-ci était ignorée de tous. Se fichant comme d’une guigne de toute cette affaire, le chien en profita pour boire un coup et se reposer un peu. On finit par lui mettre la main dessus, et heureux d’avoir mis fin à l’impatience et aux angoisses du roi, on baptisa la minuscule résurgence du nom de Fontaine à Bleau tout en espérant que l’ingrate bestiole ne récidive pas une deuxième fois »(1).
LA LÉGENDAIRE FONTAINE BELLE-EAU
(JARDIN ANGLAIS DU CHÂTEAU DE FONTAINEBLEAU)
 
Annales Forestières et Métallurgiques de 1803, version qui semble se mêler à la légende de la chapelle Saint-Louis. En attendant  je vous la livre telle quelle :
« Le roi Louis IX s’était rendu à son château de Grez, situé au bord du Loing, pour se livrer, dans le calme de la solitude, au milieu de ce qu’il appelait ses ‘chers déserts’, à l’élaboration de ces lois sages qui lui ont mérité l’affection de ses peuples et la reconnaissance des générations. Sentant un jour le besoin de calmer les fiévreuses effervescences de l’esprit par l’exercice du corps, il s’en alla chasser dans la forêt voisine, qui portait alors le nom de forêt de Bière. La nature donnait ce jour-là une fête printanière sous la feuillée ; c’était si beau, si suave, si séduisant que le roi, laissant à ses équipages le soin de suivre le cerf qu’on avait lancé, s’assit au pied d’un chêne pour se laisser vivre une heure de cette vie matinale des bois où tout est fraîcheur, parfum et harmonie. Il s’abandonna si longtemps à son heureuse contemplation, il laissa son âme tant et si bien s’épanouir avec les fleurs, chanter avec les oiseaux, sourire à toutes les joies du printemps, que la faim seule put le tirer, vers le milieu du jour, de ses délicieuses rêveries et le faire songer au retour. Il remonta donc à cheval. A peine avait-il fait un quart d’heure de chemin qu’il tomba dans une embuscade de voleurs ; mettre l’épée à la main pour se défendre, sonner d’un petit cor qu’il portait suspendu au cou pour appeler à son aide, fut l’affaire d’un clin d’œil ; ses gens entendirent les sons d’alarme, accoururent et délivrèrent leur royal maître ; mais ils ne rapportaient pas le cerf, ce qui contraria le roi, et ils avaient perdu un chien, le meilleur de la meute et que le roi aimait entre tous, ce qui le contraria plus encore. Oubliant alors et sa faim et les voleurs, il se mit à la recherche du chien, appelant de la voix Bleau, son cher Bleau ; mais Bleau n’entendait pas et ne revenait point ; qu’était-il devenu ? Il avait, le brave, animal, relevé le défi et suivi le cerf tout seul ; et le cerf l’avait emmené loin, si loin, que ce ne fut qu’après avoir franchi mainte colline et traversé mainte vallée, qu’on le trouva près d'une fontaine, à côté du dix-cors, qu’il avait porté bas, hurlant le perdu, mais n’ayant pu se résoudre à quitter sa proie avant l’arrivée de son maître et sans un triomphal hallali. Le lieu était pittoresque, plein de fraîcheur et d’ombre ; saint Louis y prit un repos et une collation dont il avait grand besoin, et décida d’y faire construire un rendez-vous de chasse, auquel, en souvenir de l’événement du jour, il donna le nom de son chien préféré. Telle est l’origine légendaire de Fontainebleau »(2).

Une dernière, pour la forme, est tirée du bouquin de J. Loiseau.
« A une lointaine époque, un voyageur traversa la grande sylve. Angoissé par le voisinage de bêtes sauvages, il se hâtait pour atteindre les rives de la Seine, mais la fatigue et la soif ralentissaient ses pas ; bientôt, épuisé, il se laissa tomber sur le sol. Son chien nommé Bléau, Blaud ou Bliaud, découvrit alors une source ; il vint chercher son maître, parvint à le conduire à cette eau miraculeuse qui redonna au voyageur harassé les forces nécessaires à poursuivre sa route. En reconnaissance, notre homme baptisa cette source du nom de son sauveur : la Fontaine-Bliaud »(3)
Question étymologie, voilà qui peut paraître un peu simple, je vous l’accorde. Suivant d’autres hypothèses, le nom de Bleau, était celui d’un garde forestier alors propriétaire du terrain où se trouvait la fontaine, ou encore celui d’une famille possédant un domaine près de celle-ci. Pour Maurice Lecomte, historien briard, ce substantif viendrait de Bladobald, nom d’une famille de guerriers francs. Une dernière variante voudrait que Fontainebleau tire son appellation d’une source dédiée au dieu gaulois Belenos. Personnellement, je préfère celle du chien et puis ça me satisfait d’autant plus que la suite nous amène vers un autre représentant de la famille des canidés : le loup.

(1) Librement inspiré de Jean-Claude Polton : Tourisme et nature au XIXe siècle. Guides et itinéraires de la forêt de Fontainebleau (vers 1820-vers 1880), éd. du CTHS, 1994, p 66.
(2) Annales Forestières et Métallurgiques, Tome II, Paris, 1803, Bureau des Annales Forestières, p 125-126.
(3) Jean Loiseau, Le Massif de Fontainebleau, 2 tomes, éd. Vigot Frères, 1970, p 202.


Mauvaises Bestes et compagnie
Si l’on en croit René Morel(1), il existait dès le début du XVIe siècle un animal fabuleux qui répandait la terreur dans la forêt de Fontainebleau et ses alentours. Tout porte à croire qu’il  s’agissait d’un loup, mais certains crièrent au loup-garou, ou tentèrent de faire porter le chapeau aux sorciers qu’on disait experts dans l’art de la métamorphose. Bien avant la fameuse Bête du Gévaudan, aux environs de 1660 on parlait déjà par chez nous de la Bête du Gâtinais, une effroyable créature ayant l’aspect d’un loup monstrueux. Ses exploits largement exagérés en meurtres d’enfants et de jeunes filles alimentaient les peurs et les histoires les soirs de veillées. On raconte même qu’elle traversait la Seine pour venir enlever des gamins et des animaux sur l’autre rive. C’est pour dire.
Une dizaine d’années auparavant, un autre représentant de la famille des grands dévoreurs de citoyens avait fait lui aussi des siennes. J’ignore si le nom de Male Beste vous évoque quelque chose, mais à l’époque ce terroriste à quatre pattes prenait un malin plaisir à tourmenter la région. Un détail diffère cependant. Il semble que cette fois-ci nous ayons été en présence d’une louve qui avait eu la mauvaise idée d’être un peu plus massive que ses congénères (voir plus loin). Singularité qui n’était pas là pour lui faciliter la vie.
Dans ses mémoires, Madame de La Guette en parle en ces termes :
« Je me résolus de me retirer à ma maison de campagne, et, avant que d'y aller, je fus requérir mes filles, qui étaient Villechasson, dans le Gâtinais, justement dans le temps que cette misérable bête y dévorait tant de gens qu'une de mes parentes me dit qu'elle en avait déjà fait mourir plus de six cents de compte fait. Elle en voulait particulièrement aux femmes et aux filles, et leur mangeait les deux mamelles et le milieu du front, puis les laissait là. Cela causait par tout le pays une si grande consternation, qu'on ne parlait que de la bête du Gâtinais comme d'une chose effroyable. Quand je fus à Montereau-Fault-Yonne, il y eut des gens qui me voulurent donner l'épouvante de cet animal ; ce qui ne m'empêcha pas de passer outre avec ceux que j'avais menés. Je ne trouvai rien en chemin, qu'un grand nombre de personnes qui allaient par bandes, armées d'épieux, de fourches, de hallebardes, d'épées et de toutes sortes d'armes pour se défendre, en cas qu'ils eussent rencontré ce monstre »(2).
En octobre 1655, Gaspard de Montmorin-Saint-Hérem, louvetier et capitaine des chasses, lui régla son compte après l’avoir traqué huit jours d’affilée dans les chaos rocheux de la forêt. L’histoire précise qu’il était aidé de 120 chiens et que cette chasse fut racontée à Louis XIV, qui trouva ça plutôt marrant.
Elle fit aussi l’objet d'une longue description dans le récit en vers du poète Jean Loret :
« J'ay sceu d'un nommé Ségnor Carie,
Qu'à Fontainebleau fort l'on parie
D'un certain diantre d'Animal
Qui fait alentour bien du mal :
Car pour manger enfant, ou femme.
Par une gourmandise infâme.
De telle viande, dit-on.
Il est étrangement glouton :
On l'appelle la Male-Beste,
Et l'on le craint comme tempête,
Tant il est âpre et carnassier :
Aucuns disent, c'est un Sorcier,
Et pour mieux inculquer leur dire
Ils en font cent contes pour rire,
Tous bizarres, tous merveilleux.
Mais apparemment fabuleux :
Car selon l'avis des plus sages,
Et non pas des Gens de Villages
Qui toujours s'abusent beaucoup,
Cet animal n'est qu'un grand loup,
Dont la mâchoire et la bedaine
Sont avides de chair humaine.
Or j'appris par un paquet, hier.
Que Saint-Héran, grand Louvetier,
Homme de cœur et de vaillance.
Et la terreur des Loups de France,
Avec des chiens forts résolus.
Au nombre de six-vingt, ou plus.
Assisté de maint Volontaire,
Doit chasser ce Loup sanguinaire(…)(3)»

« Enfin, Monsieur de Saint-Héran,
Qui prend des trente Loups par an,
A pris cette Beste vilaine
Qui mangeait tant de chair humaine,
Et dont il se faisait partout
Cent contes à dormir debout.
Ce n'était Lion, ni Lionne,
Tigre, ni Tigresse félonne,
Crocodile, ni Lestrigon,
Ni Rhinocéros, ni Dragon,
Ni Léopard : mais il se trouve
Que c'était une horrible Louve,
D’aspect rude, ardant et hideux,
Et grande du moins comme deux.
Cet animal fier et barbare.
Sans respect, ni sans dire gare.
Mit d'abord en grand désarroi
Dix ou douze des chiens du Roy;
Barchaut et Barbaut, Chiens de Brie,
L'attaquèrent avec furie.
Mais, ma foi, Barbaut et Barchaut,
Virent qu'il y faisait trop chaud ;
Clabaut, Rustaut, firent merveilles,
Mais l'un y laissa les oreilles.
Et l'autre en bien se défendant,
Décéda d'un grand coup de dent;
Grizard et Croquant, à peau brune,
Voulurent-là, busquer fortune :
Mais Grizard mourut en busquant,
Et la Louve croqua Croquant :
Gripe-Loup, Brifaut, Gueule-noire,
Ayans aiguisé leur mâchoire
Ne s'acharnèrent point trop mal
A l'entour du fier animal :
Mais leur feu fut un feu de paille,
Gripe-loup perdant la bataille.
Fut, enfin, lui-même grippé.
Gueule-noire fut étripé;
On ouï Brifaut, d'une lieue,
Car étant mordu par la queue,
Aboya, cria, hurla.
Et mourut à cent pas de-là.
Enfin, la Louve faisait rage,
Occasion et grand carnage;
Mais tout à l'instant il survint
Un gros de Lévriers faisant vingt,
Puis encor un autre de trente,
Qui d'une fureur violente
Etans excitez des Chasseurs,
Furent tout-à-coup agresseurs.
La Beste réduite à ce terme,
Fît encore quelque temps ferme,
Avec rigueur se défendit,
Bondit, fondit, fendit, mordit,
Mais l'assaut se trouvant trop rude
De cette grande multitude,
D'angoisse, enfin, elle étouffa,
Et Saint-Héran en triompha.
De la chasse, toutes les pompes,
L'aboie des chiens, le son des trompes,
Les échos répondants aux cors,
Qui faisaient de charmants accords,
Célébrèrent cette Victoire,
Et puis chacun s'en alla boire;
Car, pour dire la vérité.
Us l'avaient très-bien mérité.
On dit que le Roy nôtre Sire,
Entendant raconter et dire
Le tintamarre et hourvari,
En avait de très bon cœur rit :
Saint-Héran, lui-même, eût la gloire
De lui narrer au long l'histoire,
Et marquer tout ce qui fut fait,
Dont il parut fort satisfait.
Enfants, Bergers, Femmes, Pucelles,
Qui de frayeurs continuelles,
Aviez les pauvres cœurs gênez,
Désormais allez et venez,
Vous n'avez plus besoin d'escorte.
Puisque la male-bête est morte (…)(4)»
                              Vers la fin du XIXe siècle, une vieille femme relata également à René Morel l’histoire d’une grande mauvaise bête qui demeurait dans la forêt et la quittait de temps à autre pour s’en prendre aux laboureurs, aux bergers et aux troupeaux. Elle avait à son palmarès une multitude d’atrocités, de morts de moutons et de chiens et de disparitions d’enfants, comme l’enlèvement de cette fillette partie cueillir des noisettes dans les bois, ou, « ce jeune garçon de 9 ans dévoré à Nanteuil-lès-Meaux »(5).
                                                                                                        
(1) René Morel : La « Beste du Gastinois », Le Briard, 1904, p 154.
(2) Célestin Moreau : Mémoires de Madame de la Guette, Paris, 1856, p 174/175
(3) Jean Loret : lettre 40, du 9 octobre 1655, La Muse historique, recueil de lettres en vers, contenant les nouvelles du temps, écrites à son altesse Mademoiselle de Longueville, depuis duchesse de Nemours, (1650/1655), Tome 2, Daffis libraire éditeur, 1877, p 107-108
(4) Jean Loret : lettre 41, du 16 octobre 1655, La Muse historique, recueil de lettres en vers, contenant les nouvelles du temps, écrites à son altesse Mademoiselle de Longueville, depuis duchesse de Nemours, (1650/1655), Tome 2, Daffis libraire éditeur, 1877, p 109-110
(5) Paul Bailly : Toponymie en Seine-et-Marne, éditions Amattéis, 1989, p 328/29.

DESSIN DE RENE MOREL (ALMANACH DE SEINE-ET-MARNE)
                                Pour terminer, notons qu’il est fort possible que ces trois exemples nous renvoient au même animal, décrit à des époques différentes et de manière souvent excessive, quand on sait que les seuls loups à avoir tué des êtres humains l’ont fait en de rares occasions et dans des circonstances particulières (loups enragés, animal acculé ou provoqué). Avec des témoignages de ce type, échelonnés et non fixés dans le temps et la réalité, il n’est pas évident de faire la part des choses, de séparer le monstre mythique et imaginaire du simple animal.
Dans le même genre d’idée, sous le règne de François Ier, un certain Sébastien de Rabutin aurait débarrassé le pays d’un terrible loup-cervier qui n’avait rien à envier à nos fauves précédents. Lui aussi désolait la région, dévorait à tour de bras les jeunes filles et les enfants. Ce monstre, qui dans la fresque de la salle de bal du château de Fontainebleau apparaît comme une sorte d’hybride de loup et de félin, était si redoutable que personne n’osait se mesurer à lui. Pour mémoire, le loup-cervier, du latin Lupus cervarius qui signifie le loup de cerf, le loup qui attaque les cerfs est le nom vernaculaire du lynx, un gros chat qui chasse d’avantage les lièvres ou les lapins que les chevreuils ou les hommes.
Comme on le voit, on est encore bien loin de ce qu’on lui attribuait.


François Ier contre Serpent géant
                          Alors que la longueur des plus grands serpents vivant en forêt n’excède guère le mètre, il en est un qui d’après la légende atteignait 18 pieds, ce qui fait quand même plus de 5,80 m, pour un poids qu’on pouvait estimer à un minimum de 160 kg. Pas mal pour un serpent européen, même s’il est bien loin du plus grand serpent capturé, un python réticulé de 15 m. Bien entendu, ce monstre venimeux n’échappait pas à la règle de trois : mangeur, tourmenteur et ravisseur de gens. « L’animal vivait dans les amas de rochers au sein desquels il se dissimulait. Ils lui offraient également protection, car ainsi il pouvait faire face à ses adversaires incapables de l’aborder à plusieurs en même temps. Un beau jour, François 1er décida d’en finir avec l’animal qui semait terreur et désolation. Le roi, à qui on ne la faisait pas, se fit tailler une armure couverte de lames de rasoir, et partit en forêt. Il débusqua le prodigieux serpent qui aussitôt chercha à l’étouffer en enroulant ses anneaux autour de lui, selon la bonne vieille méthode des serpents constricteurs. Mais c’était sans compter avec l’armure inhabituelle de sa courageuse Majesté. Ce qui devait arriver, arriva : le serpent se débita de lui-même en morceaux et le roi eut tout le loisir d’achever la bête sans trop se mouiller. Deux bons coups de dague au travers la gorge et le tour était joué. Il put ainsi rentrer au château sous un tonnerre d’applaudissements et d’éloges, s’assurant du même coup d’un ou deux points supplémentaires aux prochaines élections »(1)

(1) Librement inspiré de Paul Domet : Histoire de la forêt de Fontainebleau, Paris, Hachette 1873, p 357.
DESSIN DE RENE MOREL (ALMANACH DE SEINE-ET-MARNE)



Nos amis les dragons
                          Une autre espèce de reptile avait autrefois ses quartiers dans la forêt : le dragon. Il existe très peu de légendes à son sujet. Pour tout dire, je n’en ai qu’une à vous soumettre et encore elle relève d’avantage d’un besoin d’explication face à un mystère que d’une fable traditionnelle. Quand ignorance et superstition fonctionnent à plein tube, l’être humain à tendance à piocher dans le surnaturel et le merveilleux pour expliquer ce qu’il ne comprend pas. Il n’y a rien de péjoratif là-dedans. Sans cela, il est évident qu’une grosse part du folklore populaire n’aurait jamais existé. Pour exemple, « les dessins de l’abri orné de la Roche aux Fées auraient soi-disant été gravés par les dragons. Ces derniers appréciaient depuis longtemps les vertus abrasives du grès, et avaient coutume de venir à cet endroit pour affûter leurs griffes sur cette roche »(1).
                    C’est l’une des interprétations dont les gravures ont fait l’objet. Nous en verrons une seconde un peu plus loin.

(1) Pierre Olivier Fanica : Bestiaire Bellifontain, Presses du Village, p 60-64.




L’abonnée des mauvaises nouvelles
                           Il y a encore peu de temps de ça, les habitants de Bois-le-Roi croyaient qu’une biche blanche (ou une Dame Blanche) apparaissait au sommet de la Butte Saint-Louis quand un événement grave se préparait. Jusqu’ici, je n’ai découvert aucune mention d’un quelconque témoignage évoquant un présage de ce type, même si certaines personnes auraient aperçu l’animal durant la fin des seventies. De plus je ne parviens toujours pas à comprendre la relation qui existe entre cette tradition et le récit historique plus ou moins légendaire attaché à ce tertre. Pour rappel,
« Le roi saint Louis s’égara en forêt alors qu’il traquait un cerf. Après avoir erré pendant un bon moment, il grimpa en haut d’une butte pour tenter d’évaluer la situation. A ce moment une troupe de brigands l’encercla, bien décidés à lui faire la peau. L’un d’eux pourtant proposa seulement de lui piquer sa bourse. Le monarque refusa et se défendit comme il put, mais voyant que les choses tournaient mal, sonna de son cor pour qu’on vienne le tirer de là. Cet instrument était un peu spécial. Il avait été donné au roi par un ermite et avait le pouvoir d’épouvanter ses ennemis et d’attirer ses amis, ce qui tombait plutôt bien et mis rapidement fin à tous ses problèmes. Le roi pardonna à celui qui n’en avait eu qu’après son argent et fit étrangler les autres. En reconnaissance de cette aventure tenant du miracle, le roi fit bâtir un ermitage et comme l’aventure était arrivée le jour de la fête de la Saint-Vincent, la chapelle fut appelée Saint-Vincent-du-Montouy »(1).
Peu après la canonisation de saint Louis, elle prit le nom de Saint-Louis-en-Beaulieu. Beaulieu est vite dit quand on connaît les histoires sordides attachées à cet endroit : ermites assassinés et religieux défroqués qui étaient loin d’être des modèles de vertu. Les bâtiments furent rasés vers 1700 et les ruines fouillées à deux reprises vers 1869 et un peu avant la seconde guerre mondiale.

(1) Librement inspiré de Jean Loiseau, Le Massif de Fontainebleau, 2 tomes, éd. Vigot Frères, 1970, p 202/203


RUINES DE LA CHAPELLE SAINT-LOUIS (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)
                  Concernant ce lieu et le reste, certains auteurs, comme Quesvers, Stein et Louis Vincent, ont émis des théories, avec plein d’idées et d’hypothèses dedans. Même si elle reprend leurs raisonnements, madame Iablokoff est la seule à donner un semblant d’explication à la présence prophétique de la biche, celle qui nous intéresse tout particulièrement. 
                            Voici ce qu’elle nous raconte en gros : dans un texte datant de 1004, il est rapporté que Robert le Pieux aurait fait construire dans la forêt de Bière un monastère dédié à saint Germain ainsi qu’une église Saint-Michel. Jusqu’ici, personne n’avait jamais découvert de preuves suffisantes pour déterminer avec exactitude la localisation de ces deux bâtiments. Cependant, des recherches effectuées au sommet de la butte par Louis Vincent révélèrent des vestiges plus anciens que ceux de la chapelle Saint-Louis. L’auteur suppose donc que l’église bâtie par Robert le Pieux avait pu se situer au sommet et, pour expliquer les motivations du souverain, présume une fois de plus qu’il y avait peut-être autrefois sur cette butte un sanctuaire antique, peut-être celtique, porteur d’un culte encore vivace qu’il fallait définitivement radier ou détourner en faveur de l’église.
                        Et la biche blanche dans tout ça ? J’y viens. D’après l’auteur, cet animal mythique lié au culte lunaire est souvent l’indicatrice d’un lieu anciennement sacré. On a donc affaire à une apparition très localisée et peut-être à la manifestation d’une divinité archaïque.
                        Alors la biche blanche, ultime témoin de notre bon vieux paganisme ?
                       Possible, en tous cas c’est le message que C. Kh. Iablokoff cherche à nous faire passer et moi je trouve ça plutôt excitant.
RUINES DE LA CHAPELLE SAINT-LOUIS (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)


De l’art préhistorique considéré comme un témoignage de l’existence des fées
                           Poursuivons à présent avec d’autres personnages mythiques et fabuleux. Comme je le précisais au début, on ne peut pas dire que ça se bouscule au portillon. J’insiste, et quand je songe « qu’il n’est guère de localité où l’on ne cite un lieu hanté par les fées », c’est Albert Colombet qui le dit à propos de la Côte-d’Or, il est toujours étonnant d’observer que la forêt de Fontainebleau n’ait été l’instrument d’aucune légende mettant en scène les demoiselles de la sylve, et encore moins les lutins, génies et autres représentants du petit peuple.
Ne cherchez pas les fées à la mare du même nom. Il est fort probable qu’elles n’y aient jamais pris le moindre bain ou fait la moindre lessive de nuit. Pour cause, on l’appelle encore Grande Mare sur le plan daté de 1809 ou Mare du Rocher-des-Fées dans le Guide du voyageur  de Dénecourt(1) et il y a fort à parier qu’elle doive son nom actuel à ce dernier bloc. Nous allons y venir. Ne perdez pas non plus votre temps au Chêne des Fées, au Mont de Fays ou au Bois du Fay, tout suppose que ces toponymes soient d’invention récente ou fassent simplement référence à un arbre : le hêtre, fagus, en latin. Par contre, une carte de 1764 mentionne une Route aux fées, correspondant à peu près à l’actuelle Route des Fées, voisine du rocher éponyme, ce qui me fait dire qu’il nous reste toutefois un petit quelque chose à nous mettre sous la dent.

LA ROCHE AUX FÉES (FORET DE FONTAINEBLEAU)
Pas très loin au nord de Bourron-Marlotte, en bordure de la forêt domaniale, le long de la route de la Gorge aux Loups, parcelle 527, se trouve un abri sous roche que l’indicateur Colinet-Denecourt désigne sous le nom « d’Abri Jean de la Fontaine » et les traditions sous celui de Roche aux Fées, ou  des Fées : rappelez-vous il y a deux paragraphes de ça, les dragons manucurés. Comme bon nombre de ses congénères, cet abri est facilement identifiable grâce à ses gravures, témoins emblématiques d’un art rupestre actif, s’enracinant au Mésolithique pour se perpétuer jusqu’à des périodes historiques plus récentes. On y observe un répertoire de sillons et de grilles, ainsi qu’un « chariot » ou un char, un anthropomorphe et au moins deux figures animales.
Avant qu’on décide de la murer en novembre 1955, ce rocher recelait « une grotte mystérieuse qui se terminait en un étroit couloir ». Celle-ci, large à son entrée d’un peu moins de 2 m, pour une hauteur de 80 cm environ, est en fait un long boyau s’enfonçant sur plus de 4 m dans la roche. Paul Domet rapporte que cette cavité était « l’entrée de la demeure souterraine des fées » et les motifs gravés « les traces que ces dames, au retour de leurs danses nocturnes, ont laissées de leurs ongles (griffes serait peut-être plutôt le mot propre), dans leur empressement à fuir les premières lueurs de l’aurore, par lesquelles, paraît-il, toute fée bien élevée ne doit pas se laisser surprendre »(2).
Cette légende aurait été racontée à Domet par un vieux bûcheron. J’ignore si son origine est véritablement ancienne, mais le climat Rocher aux Fées qui apparaît déjà sur un plan général de la forêt de 1727 semble bien abonder dans ce sens.
LES GRIFFES DES FÉES, MOTIFS GRAVES, LA ROCHE AUX FÉES (FORET DE FONTAINEBLEAU)

LES GRIFFES DES FÉES, MOTIF GRAVES, LA ROCHE AUX FÉES (FORET DE FONTAINEBLEAU)
Je dispose également d’une version plus longue développée et écrite par la vicomtesse Dash, de son vrai nom Gabrielle Anne Cisterne de Courtiras Saint-Mars et publiée en 1858. J’en donne ici la version simplifiée.
                     « Au milieu de la forêt de Fontainebleau, près la croix de Saint-Hérem, placée sur la grande route qui conduit à Nemours, existe une admirable vallée, coupée par plusieurs routes, appelée la Gorge-au-Loup. Différentes essences d’arbres et des rochers caverneux et moussus, couvrent cette vallée qui est immense. Sur le plateau de ces rochers sont de grandes mares et vers la fin d'une des routes qui aboutissent au fond de cet entonnoir, sont deux rochers de merveilleuse mémoire, et devant lesquels la foule des promeneurs passe sans s'arrêter ; — et pourtant les échos doivent avoir conservé le souvenir de ce qui s'est passé et des bruits étranges qu'ils ont répétés autrefois.
                  A l'époque de François Ier, par une belle matinée d'automne, les dames, faucon au poing, montées sur des juments blanches, escortées de chasseurs, de pages, d’archers, glissaient dans les taillis et sur les rochers, parmi les cors retentissant, les cris aigus ou étouffés des chiens poursuivant leur proie. Soudain, au détour d’un chemin, l’une d’elle prénommée, Blanche de Montmédy aperçut un point lumineux dans le ciel et se hâta dans cette direction. Isoline d'Escars, son amie, se lança à ses trousses, accompagnées par leurs pages respectifs : Olivier Raimbaut et René Duchâtel. Levant la tête vers la cime d’un être, ils virent quelque chose qui brillait fortement, et qui semblait marcher et grossir à vue d'œil. Ils s’interrogèrent longuement sur ce qu’elles devaient faire et commencèrent à distinguer une silhouette qui évoquait une corbeille d'or soutenue sur les ailes d'un immense oiseau. Comme l'oiseau l'emportait rapidement, ils mirent leurs chevaux au galop poursuivant la mystérieuse nacelle qui se dirigeait vers l'orient. Ils la suivirent des heures durant et finirent par la perdre de vue. L’étrange vision avait disparue. Epuisées, perdues, les chevaux à bout de souffle, ils décidèrent de passer la nuit dans la forêt. Isoline et les pages mirent pied à terre justement vers la platine de cette Gorge au Loup. Olivier et René étendirent sur la mousse leurs verts manteaux pour servir de tapis aux deux dames, et attachèrent les quatre coursiers. Puis, ils essayèrent de dormir. Isoline, Olivier et René paraissaient assoupis, mais Blanche veillait à demi couchée. Soudain un bruit étrange vint résonner à ses oreilles; un parfum inconnu arriva jusqu'à elle. Tremblante et retenant son haleine, elle entendit d'abord des paroles incohérentes.
              « Ici. Non, là, dressez-vous ! La flamme, elle pétille et le serpent frétille. Sus, venez ici, par là. Oui, oui. Oui ».
                 Puis un nouveau silence...
                 « Et maintenant la fête. Chantons, chantons, puis l'enfant… chantons, mes sœurs. L’enfant de la noble dame… »
               Et les voix baissèrent.
                 Blanche ordonna à ses compagnons de se réveiller, et tous quatre se rassemblèrent. Ils entendirent une nouvelle fois se répéter les mêmes paroles. Intrigués, ils descendirent la pente du coteau et arrivèrent jusque sur un monticule, d'où ils découvrirent enfin un spectacle étrange. Près d'une roche caverneuse étaient des fées, femmes échevelées, les bras et les épaules nus, ayant de longues tuniques blanches, retenues par une ceinture rouge qui leur ceignait la taille. De petits nains noirs étaient blottis auprès d'un brasier ardent, tandis que, circonscrites par un cercle d'un feu bleuâtre, les femmes dansaient en rond en faisant des grimaces et des contorsions autour d'une nacelle ou d'une grande corbeille en or dans laquelle reposait un bel enfant, qui souriait malgré ce bruit infernal.
                Une seconde, Blanche fut émerveillée par la beauté de l’enfant, mais au même instant, des voix d'hommes retentirent dans la forêt, elle parut s'illuminer de la lueur de plusieurs torches ; c'étaient des archers envoyés par le roi à la recherche des fugitives et aussitôt la vision disparut. Rapidement, ils repartirent en direction du château, mais Blanche, encore bouleversée par cet étrange spectacle s’enquit de l’endroit dans lequel il avait eu lieu. Plusieurs fêtes furent organisées au château, mais Blanche se désespérait de ne pouvoir retourner à la Gorge-au-Loup, puisqu'aucune partie de chasse ne s'organisait. Ne pouvant plus résister à la curiosité qui la dominait, elle appela son page. Elle lui demanda un habit semblable au sien et lui ordonna de l’accompagner à l'endroit où ils avaient vu la corbeille et les fées et lui fit jurer de ne rien dire. Deux heures après cette conversation, ils gravissaient la montagne qui conduisait à la croix de Saint-Hérem, puis poursuivirent leur chemin et arrivèrent enfin à destination. Ils s'assirent sur la mousse qui tapissait un rocher, et attendirent le commencement du sabbat.
                        Et en une minute, toute la roche fut illuminée comme la dernière fois ; seulement, les femmes étaient assises sur des bancs de feuilles sèches; elles étaient encore en rond autour d'une d'elles qui tenait l'enfant sur ses genoux ; son petit bras potelé était nu, et elle paraissait y graver quelques signes mystérieux en s'exprimant dans un langage inconnu aux deux pages ; puis l'opération finie, elles se mirent à causer avec l'enfant, comme pour l'amuser et lui apprendre à parler.
                      « Moi, comme la doyenne, je suis sa marraine, dit celle qui le tenait, je lui donne pour nom Séraphito, parce qu'il est beau comme un séraphin ; mais pourtant, jusqu'à ce qu'il ait une dent, il se nommera Bébé. Que chacune de vous lui fasse un don. »
                      Et toutes, à l'envi, en lui donnant un baiser, semblèrent lui souffler un mot à l'oreille.
                                « Pauvre enfant abandonné, continua toujours la doyenne, sans nous, tu serais mort, et nous qu'on accuse de maléfices, nous qui t'avons trouvé exposé sur un fleuve dans une corbeille d'osier, nous t'en avons fait une d'or. Tu es le fils d'une noble damoiselle, ta mère a voulu cacher sa honte par ta mort, et nous, sorcières, nous t'avons pris, adopté et élevé. Oh ! Bel enfant, puisse notre savoir, conjurer les malignes influences qui s'arrêtent parfois au-dessus de ta tête. »
                            Puis le prenant dans une main et l'élevant en l'air, elle sembla décrire avec lui des cercles étranges, et bien qu'il fût au-dessus de la flamme d'un brasier ardent, ce bel enfant ne pleurait pas. Remis à terre par la doyenne, il se mit à courir de l'une à l'autre en répétant : Bébé, Bébé. Elles lui firent boire d'un élixir qui l'endormit et le replacèrent dans la corbeille d'or. La doyenne prenant toujours la parole.
                           « Voici le jour, mes sœurs. Il est temps de partir. Emportons notre trésor; bientôt, hélas ! Il nous faudra le rendre au monde d'où il sort. Une nouvelle princesse dont je vois l'astre se lever à l'horizon, servira admirablement nos desseins sur cet enfant... dont la mère ! »
                           Elles vomirent alors d'horribles imprécations. En se livrant à leurs danses sauvages on entendit les rochers crier sous leurs ongles aigus, puis les lumières s'éteignirent, et tout disparut avec l'aube matinale. Blanche et Olivier étaient restés muets et comme changés en statues. Et ils reprirent tous deux le chemin de Fontainebleau, tristes et silencieux, bien différents de ce qu'ils étaient à la Gorge-au-Loup. Ils se glissèrent furtivement dans le château, et Blanche avait rejoint son appartement et quitté ses vêtements de page avant qu'on se fût aperçu de son absence.
                                Plusieurs années s'écoulèrent. C’était un soir de Noël et les habitants en courant par les rues criaient : Noël ! Noël, voici la venue du Sauveur du monde, venez adorer le doux Jésus dans sa crèche. C'était fête pour le peuple et fête pour la cour, une cérémonie brillante se préparait dans les appartements royaux du palais des Tournelles. En pleine conversation avec le duc d'Orléans, Anne de Pisseleu remarqua un beau page qui passait et absorbée qu'elle était par la curiosité qu'il éveillait en elle appela un des siens, et le chargea aussitôt d'aller s'enquérir à qui appartenait ce blond jeune homme. Le messager s'élança dans la foule pour revenir peu de temps après, lui apprendre qu’il s’appelait Séraphito, qu’il était est attaché à la princesse Catherine de Médicis arrivée depuis peu d'Italie et qu'il ne parlait pas encore bien le français. En retour Anne demanda à son messager qu’il amène ce page dans ses appartements secrets sans qu'il sache pourquoi, car elle se méfiait de Catherine de Médicis et de Diane de Poitiers, qui toutes deux la haïssaient.
Vers cette époque, Anne de Pisseleu, avait jeté entièrement le dernier voile de la pudeur, et n'avait pas rougi d'entamer un procès honteusement scandaleux, contre son mari Jean de Brosse, pour l'accuser d'impuissance et faire casser son mariage. Et ce procès, ainsi que les épreuves nécessaires pour convaincre le malheureux Jean, condamné d'avance, fut jugé publiquement au mépris des mœurs et convenances ! Cette femme, une fois débarrassée d'un témoin importun, se livra sans retenue à tous les débordements où la pouvait conduire son imagination taillée sur le patron de la reine Cléopâtre.
                              Plusieurs jours s'étaient écoulés depuis cette fête, et chaque matin elle espérait la visite du beau page, mais les jours s'étaient écoulés sans qu'elle le vît venir. Enfin, on gratta doucement à l'huis, et la portière se souleva pour laisser passer le messager et Séraphito. Ils arrivèrent auprès d'Anne, puis le messager quitta la chambre et Anne resta seule avec le beau page, qui gardait toujours ses yeux baissés. Elle lui proposa alors que chaque matin il vienne dans son appartement, et de lui apprendre à parler français. Mais cela cachait un amour naissant pour le jeune homme et chaque matin elle attendait avec une impatience fiévreuse la visite de Séraphito, et chaque soir elle s'étonnait qu'il n'eût point osé davantage. Il était si timide, pensait-elle !
                            Catherine de Médicis qui, sans qu'il s'en doutât, surveillait les pas de son jeune page, l'interrogea, à son tour, sur sa pâleur extrême et lui demanda de suspendre ses leçons pendant quelques jours. Séraphito l’implora de n’en rien faire et lui demanda également de lui révéler le secret de sa naissance, secret qui lui pesait depuis toujours. Elle lui apprit qu’une grande dame lui avait donné le jour et avait voulut lui ôter. Des fées l’avaient sauvé, puis l’avaient remis à elle pour qu'un jour il puisse retrouver sa mère. Séraphito resta seul, courbé sous le poids de tant de sensations diverses, et la nuit s'avançait sans qu'il songeât à se retirer. Catherine, en rentrant, le gronda et le fit emporter et soigner par ses femmes. Séraphito fut malade pendant plusieurs jours. Anne ne put résister à son inquiétude et envoya son messager, prendre des nouvelles du bel enfant et lui remettre un billet. Séraphito tressaillit de joie lorsqu'il tint ce papier qu'il baisa. Puis il le relut mille fois alors qu'il fut seul. Il quitta rapidement sa couche, comme électrisé par le billet qu'il venait de recevoir. Les heures lui semblaient lentes à s'écouler, il croyait que la journée ne finirait jamais. Rien ne le pouvait captiver, son cœur et son esprit étaient ailleurs : lassé de voir toujours le soleil sur l'horizon, il s'endormit. Le lendemain Anne le reçut dans un boudoir éclairé par une lumière mystérieuse et voilée, des parfums enivrants s'exhalaient comme des nuages. Séraphito demeura comme muet, trop de séductions l'envahissaient à la fois, il ne pouvait plus respirer ni parler. Elle fut le prendre par la main et le conduisit auprès d'elle. Elle parfuma sa chevelure, le caressa, mais Le jeune homme, encore sous l'influence de la maladie, ne put renoncer à tant d'émotions et s'évanouit. Anne éperdue, hors d'elle-même, chercha ses flacons, ses essences pour rappeler à la vie le beau page; elle entrouvrit sa chemise pour le faire respirer, et son épaule se trouvant découverte, elle aperçut des signes étranges. Comme si elle eût été mordue par un aspic, elle recula, jeta un cri perçant, fut s'asseoir à l'autre coin du boudoir, et resta quelques instants dans une angoisse horrible, où tous les muscles de son visage se contractèrent. Ce n'était plus alors la superbe duchesse.
                                 Elle se releva tout à coup, ayant pris une résolution terrible et inébranlable, elle fut se regarder au miroir, rajusta sa coiffure, et retournant auprès de Séraphito, toujours évanoui, elle le regarda froide et impassible. Elle appela son messager pour qu’il s’en débarrasse. Ce dernier obéit, le cœur oppressé, et bientôt un batelier entra. Elle lui jeta une bourse pleine d'or, et le batelier ayant emporté Séraphito sur ses épaules disparut. Elle sembla respirer plus librement, et ne s'excusa pas même de paraître au cercle de la cour. Elle partit avec sa, suite pour Fontainebleau, faisant prévenir la princesse Catherine, qu'elle lui rendrait bientôt son cher Séraphito, devenu l'inséparable compagnon de Hugues, son messager favori.
                          Le roi, déjà fort malade, y suivit pourtant la belle duchesse, et, pour lui complaire, ordonna les apprêts de chasse au sanglier et au cerf. La chasse était un de ses grands plaisirs. Habile écuyère et gracieuse chasseresse, elle aimait à revêtir ce costume qui lui seyait à ravir. Son beau corps, comprimé dans l'amazone verte, sa belle tète coiffée d'un chapeau mignon, orné de plumes qui voltigeaient capricieuses et coquettes, tenant d'une main les rênes de la haquenée, et de l'autre son faucon penché sur le poing, elle s'élançait ainsi semblable à la déesse des bois, radieuse comme le soleil illuminant la forêt, et toute la cour la suivit. Ce jour-là la chasse fut heureuse, et François semblait avoir recouvré sa vigueur et sa jeunesse, comme ces lumières qui resplendissent d'un nouvel éclat au moment de s'éteindre pour toujours.
                              Le hasard, ou plutôt une destinée qui la poussait, entraîna Anne de Pisseleu à la poursuite d'une biche qui lui parut avoir une étoile d'or au front. Ravie de cette merveille, perdant et retrouvant à chaque instant les traces de cette biche, elle s'égara, et fut amenée comme par enchantement juste auprès de la roche où Blanche avait aperçu la corbeille et l'enfant. La biche semblait la défier, se cachant et se montrant tout aussitôt. Elle apparut enfin, sur la crête d'un rocher ayant presque la forme d'un cône, et comme la duchesse levait les yeux, elle fut elle-même fascinée d'une manière horrible par des caractères sanglants qui se dessinèrent à l'instant sur le rocher. N'osant, ne pouvant croire ses yeux... qu'elle ouvrait et refermait avec une contraction effrayante... elle lut ce qui suit :

CY-GIST BÉBÉ SÉRAPHITO, FILS DE TRÈS-HAUTE

ET TRÈS PUISSANTE DAME ANNE DE PISSELEU, DUCHESSE

D'ETAMPES, MIS DEUX FOIS A MORT PAR SA MÈRE !

                             Ayant passé plusieurs fois la main sur ses yeux, secs et brûlants dans leur orbite, comme pour chasser une vision, et ne pouvant les détourner de ce fatal rocher, ses membres se raidirent, et elle tomba rudement la tête contre un des angles de cette pierre qui révélait, qui pouvait révéler au monde entier son infamie ! Une large blessure lui fit perdre connaissance, et elle resta longtemps ainsi étendue devant l'épitaphe de son fils.
La nuit était belle et silencieuse dans cette admirable forêt comme le fut celle où Blanche, Isoline et les deux pages s'égarèrent, et la rosée tombait froide et perlée sur le corps de la duchesse ; enfin, le froid lui-même la rappela à la vie, et elle crut être en proie à un horrible cauchemar.
                          Quand un ricanement affreux siffla à ses oreilles telle une flèche empoisonnée. Elle tressaillit et vit sur le haut de ce rocher une figure hideuse qui semblait ensevelir un cadavre.
                      Sanglante, elle s'approcha du rocher comme pour se convaincre. Elle essaya, avec ses mains délicates, d'effacer ces lettres infernales; mais elles semblaient, au contraire, prendre plus d'éclat et de pureté. Elle arracha des plaques de mousse qu'elle déposa sur ce rocher maudit, et s'en éloigna à toutes jambes. La peur la soutenait, elle oubliait la forêt, la solitude et tous les dangers; une fois sur la route, elle se sentit défaillir au sang qu'elle perdait par cette blessure, et fut obligée de s'asseoir sous un chêne. Les gens à sa recherche ne tardèrent pas à la rencontrer, et les archers se souvinrent que, bien des années auparavant, deux demoiselles et leurs pages s'étaient égarés au même endroit de la forêt, d'où ils conclurent que la vallée dite Gorge-au-Loup était dangereuse, et de longtemps ne l'approchèrent.
                                Pendant plusieurs jours il ne fut bruit que de l'événement arrivé à la belle duchesse qui, dès le lendemain avait quitté Fontainebleau. On ne savait à quoi attribuer ses caprices. Le lendemain aussi deux ouvriers, dit-on, essayaient de fendre ce rocher ; mais tous leurs outils se brisèrent contre la dureté de cette pierre. Pour suivre les ordres qui leur avaient été donnés, ils l'entourèrent de tant de mousse que le grès disparut complètement, et les caractères aussi. Que leur importait ? Ils ne savaient pas lire ?
                            Enfin la mort du roi arriva, et l'astre d'Anne de Pisseleu, duchesse d'Etampes, ne put lutter avec celui de la belle Diane, dont l'amant arrivait au trône ; elle se retira tristement dans ses terres de Normandie, où elle vécut malheureuse. Ce que n'avaient pu lui donner ni sentiments de femme ni sentiments de mère, l'oubli et l'abandon le lui donnèrent, elle se souvint, elle pleura, elle eut des remords, mais il était trop tard !
                            La Gorge-au-Loup est restée une des plus belles et plus poétiques vallées de la forêt. Les deux rochers ont conservé leur nom à côté l'un de l'autre : La roche Bébé, qui se dresse moussue et ombragée par des néfliers, des houx et des chèvrefeuilles sauvages; Puis la roche aux Fées, dont le grès est encore tout stigmatisé par des ongles de sorcières qui ne dansent plus sous le chêne vert ; mais la brise qui soupire mollement dans les belles soirées d'automne semble redire les derniers adieux de Séraphito »(3).

(1) Claude François Denecourt : Guide du voyageur dans le palais et la forêt de Fontainebleau, ou Histoire et description abrégées de ces lieux remarquables et pittoresques,  F. Lhuillier, 1840, p 61.
(2) Paul Domet : Histoire de la forêt de Fontainebleau, Paris, Hachette 1873, p 359
(3) Gabrielle Anne Cisterne de Courtiras Saint-Mars : Le fruit défendu, Michel Lévy frères, 1858 p 110 à 146.

La mort vous va si bien
                              S’il y a bien un domaine du légendaire dans lequel la forêt excelle, c’est celui des apparitions spectrales et fantomatiques. A lui seul, le Grand Veneur a fait noircir plus de pages que toutes les autres légendes réunies. Je vais en rajouter une couche histoire de ne pas déroger à la règle, et aussi parce que c’est sûrement la légende la plus connue et que je ne peux décemment pas passer à côté. On va essayer de faire court. Mais d’abord commençons par les plus anciennes, chronologiquement j’entends.
                          La première est une vraie-fausse légende de création récente. Je tenais à le signaler. Non pas que je pense qu’elle ait moins de valeur qu’une autre, mais simplement parce que le fait qu’elle ne soit pas authentique pourrait en déranger quelques uns. Moi, je trouve qu’elle colle plutôt bien au reste. On pourrait même la considérer comme une sorte de préambule, de précurseur du genre. Elle met en scène le fantôme d’un cheval et de son revenant de cavalier. L’action débute aux alentours de 599, en pleine bataille de Dormelles, bataille dont j’aimerais vous dire deux mots avant d’aller plus loin.
LE CHEVAL FANTÔME DE REINHART 
                 Un jour ou l’autre, si vous vous êtes un temps soit peu intéressé au passé de la région, vous n’avez pas pu faire autrement que de lire ou d’écouter quelqu’un vous raconter le déroulement de la fameuse bataille des trois rois, Théodebert, Thierry et Clotaire. Ces souverains étaient les petits-enfants et enfant respectifs de Brunehaut et Frédégonde, reines mérovingiennes qui n’étaient pas faites pour s’entendre. Si cette bataille s’est réellement déroulée à cet endroit, ce qui n’est pas garanti à cent pour cent, on sait, d’après un chroniqueur du VIIe siècle, que les deux premiers, décidés à s’emparer du royaume de leur cousin, avaient levé une armée et qu’ils avaient finit par en découdre non loin de Dormelles, sur les rives de l’Orvanne. Clotaire vaincu s’enfuit pendant que les deux autres chahutaient un peu les gens du coin en pillant et ravageant tout ce qu’ils pouvaient. C’est à peu près tout ce qu’on a à notre disposition. Ce qui a été écrit par la suite relève de l’adroite inventivité des moines qui, en pionniers du genre, reprirent les quelques lignes pour les enjoliver, puis d’autres auteurs qui jusqu’à nos jours passèrent les faits à la moulinette de l’imaginaire. Il peut paraître inutile d’en donner des exemples, mais je vais tout de même le faire, parce que ça vaut le détour : sans aucune source en poche, Michelin dénombre pas moins de 30.000 morts, d’autres parlent d’une Orvanne rougie du sang des victimes et obstruée par des monceaux de cadavres qui jetés dans ses eaux la forcèrent à se détourner de son cours. L’abbé Béraud, lui, converti en stratège militaire, dresse les plans de la bataille en détournant les toponymes locaux en sa faveur. Vous en voulez un dernier : OK. On raconte que peu de temps auparavant une pluie de météores flamboyants avaient annoncé cette funeste bataille, et que durant celle-ci un ange du seigneur avec son glaive de feu ou ensanglanté, c’est comme on préfère, était apparut au-dessus des deux armées.

                        Cette petite mise au point effectuée, laissons maintenant la parole à Pierre Olivier Fanica, puisque c’est de son bouquin qu’est tiré ce qui suit :

                       Une fois les armées débarquées à Dormelles « La bataille reprit de plus belle. Voyant son roi sur le point d’être défait, Reinhart, le capitaine valeureux de Clotaire II, rassembla autour de lui un groupe d’une centaine de soldats. Cette attitude héroïque laissa à Clotaire le temps de traverser le gué et de s’échapper à travers les marécages (...). Pendant ce temps, les troupes de Thierry et de Théodebert s’acharnaient sur ces soldats courageux animés par la rage du désespoir. Mais lorsqu’il ne resta plus personne en état de résister aux assauts furieux, les vainqueurs égorgèrent les blessés et les survivants. (…) Reinhart gisait parmi ceux-ci. (…) Thierry et Théodebert comprirent qu’ils avaient été joués. Ils voulaient faire captif le roi, objet de leur haine et se vengèrent sur Reinhart, le courageux capitaine. Ce dernier, fidèle aux croyances antiques implorait d’être achevé par le fer de l’épée et d’être enterré ses armes à la main. Furieux de leur déconvenue, Thierry et Théodebert le firent attacher nu par les jambes à un étalon qu’on fit partir au galop. Depuis, on raconte que le cheval indompté traîne toujours le cadavre exsangue de Reinhart. En effet, si l’on en croit la légende, après avoir longé l’Orvanne et traversé les marécages du Loing, l’animal apeuré se serait réfugié en Forêt de Fontainebleau. Depuis, il erre entre la Garenne de Gros-Bois et la Mare d’Episy, entre le Long-Rocher et la Malmontagne. Si vous le rencontrez, vous le reconnaîtrez facilement. C’est à ce qu’il paraît un superbe petit cheval gris pommelé. Il a le chic de vous surprendre quand vous vous promenez et que vous vous réjouissez du silence, vous sentez le souffle chaud de ses naseaux dans votre cou. Il est dit qu’un jour le cheval s’arrêtera de galoper. Quand ? Peut-être les portes du Walhalla s’ouvriront-elles enfin pour accueillir le héros qui avait eu le seul tort de ne pas avoir été tué au combat (…) »(1).


                              Cette légende qui met en évidence la damnation éternelle, pour le coup involontaire, appartient à un fond populaire commun qui a produit quantité de légendes aux thèmes plus ou moins analogues, dont le Chasseur Noir fait parti. Avec ce récit nous remontons à la source même du mythe du chasseur maudit, cavalier pourchassant avec sa meute un gibier qui lui échappe éternellement. Sauf que dans le cas du Grand Veneur Noir de Fontainebleau la majorité des éléments servant à donner corps à ce genre d’entité sont absents. Le personnage demeure très énigmatique, il semble inoffensif et ses manifestations restent finalement épisodiques et non déterminées dans le temps. C’est sûrement pour toutes ces raisons que certains écrivains chercheront à expliquer les faits de manière rationnelle. Il est possible d’ailleurs que l’aventure arrivée à Henri IV n’ait rien de surnaturel, mais qu’elle ait servi à renforcer ou replacer dans son contexte local une légende ancienne traitant d’une chasse fantastique. Les témoignages des forestiers mentionnés à chaque fois par les différents auteurs semblent aller dans ce sens. 


                           Au départ de ce mythe, Louis Ferrand, qui a fait un boulot remarquable à ce sujet, pense que seuls les textes du XVIe et XVIIe, rédigés alors que les contemporains des faits étaient toujours en vie, sont susceptibles d’êtres pris au sérieux : l’ensemble des parutions postérieures, bien souvent légitimées par aucune preuve, doivent être regardées comme invention pure et simple de leurs auteurs. Je suis assez d’accord avec lui là-dessus. Aussi je m’en tiendrai seulement aux textes sur lesquels toute l’histoire repose. Je vous propose donc de mettre à plat tout ça pour essayer d’y voir un peu plus clair.


                      Le texte le plus ancien évoquant le Chasseur Noir est l’une des dernières lettres de Jacques Bongars écrite le 25 Octobre 1598, soit 47 jours après l’évènement. Difficile de faire mieux question timing.


                    On peut y apprendre que :

                          « Le 8 Septembre 1598, Henri IV, de retour de la chasse, repartait vers Fontainebleau. A dix heures du soir, il entendit soudain se manifester un chasseur plutôt bruyant. A ce qu’il paraît, ce dernier appelait même ses chiens par leur nom. Tous les suivants du roi furent effrayés, surtout parce que personne n’osait chasser sur les terres de Sa Majesté sans sa permission. Une fois au château, le roi convoqua les plus vieux habitants du coin et leur demanda des explications. On lui rapporta alors qu’en forêt au milieu de la nuit apparaissait quelquefois un chasseur à cheval avec sept ou huit chiens. Il parcourait les bois comme lancé à la chasse, sans jamais faire de mal à personne. D’autres ajoutèrent que ce personnage serait un chasseur ou un braconnier tué (pendu) en ce même endroit sous le règne de François Ier et que c’est lui qui se montre de la sorte en faisant tout ce vacarme»(2).
                     Voilà pour la première version, plutôt minimaliste, que j’ai légèrement remaniée sans trop la dénaturer. Comme vous le voyez, on est loin de celles communément rapportées. Ni le roi, ni aucun de ses acolytes ne sont témoins d’aucune apparition. A ce niveau du récit, rien ne prouve qu’il s’agisse d’un être surnaturel. Cette possibilité est simplement envisagée par les gens du cru qui considèrent ce dernier comme le fantôme d’un chasseur mort sous la Renaissance.


Une petite parenthèse à propos de son identité. Certains auteurs ont aussi pensé : « Que ce chasseur était le sire Enguerrand de Mennecy, grand chasseur, tué le jour de la Saint-Hubert dans la forêt de Fontainebleau, au quatorzième siècle et que son ombre venait chaque année, accompagnée de ses meutes, visiter les endroits les plus ténébreux de la forêt. Enfin quelques uns moins ami du merveilleux dirent que ce n'était sans doute qu'un adroit compère qui tuait impunément les bêtes du roi sous le masque imposant d'un démon »(3)
On a raconté aussi que c’était un fantôme nommé monsieur de Laforêt, que sa résidence était la forêt de Fontainebleau, mais qu’il s’en éloignait parfois(4).
Poursuivons. Sous la date de 1598, Pierre de l’Estoile, reprenant la trame du récit précédent, nous apporte quelques précisions supplémentaires : Henri IV chasse en compagnie de cinq hommes, dont le comte de Soissons. Les bruits entendus sont tout d’abord des voix d’autres chasseurs, des jappements de chiens et parmi tout ceux-ci, une voix plus forte que les autres. Au final, le roi apprend qu’il s’agit du Grand Veneur et qu’il est de coutume de le voir traîner dans la forêt. Rien de plus, sauf qu’à présent on sait comment se nomme l’apparition.

                  Un an plus tard, en 1599 donc, c’est au tour de Pierre-Victor Palma Cayet de donner son interprétation des faits. Il commence par évoquer la présence du spectre et nous explique ensuite que de tous temps les charbonniers, bûcherons, et paysans du coin ont l’habitude de le voir chasser dans la forêt de Fontainebleau et attestent de pères en fils de son existence. Il a l’apparence d’un grand homme noir entouré d’une meute de chiens. Il semble n’avoir jamais fait de mal à personne. Puis il en vient à l'épisode du roi Henri IV :


                          « Le roi chassait donc en forêt de Fontainebleau avec plusieurs seigneurs. Ils entendirent soudain au loin des cors de chasse et des aboiements de chiens, puis rapidement les bruits se rapprochèrent. Quelques gentilshommes s’avancèrent pour voir de quoi il retournait. Ils n’avaient pas fait vingt pas qu’ils virent un grand homme noir parmi les buissons. Effrayés, les chasseurs tournèrent les talons, mais le Grand Veneur eut le temps de leur dire d’une voix épouvantable : ‘M’attendez-vous ? M’entendez-vous ?’ Ou ‘amendez-vous ?’, suivant ce que les hommes du roi arrivèrent à discerner »(5).  
                            Avec Palma Cayet les choses commencent à se préciser sérieusement. Cette fois-ci il n’est plus question de bruits de chasse, mais d’une réelle apparition. D’où l’auteur a-t-il pu tirer cette version des événements ? L’un des protagonistes lui aurait-il refilé le tuyau, ou aurait-il arrangé tout ça à sa sauce ? Possible. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’à partir de là on note une nette évolution dans la composition de la légende. Elle commence à se structurer et à prendre vraiment l’aspect de celle qu’on connaît aujourd’hui. D’ailleurs les auteurs suivants ne feront que la reprendre en ajoutant leurs propres détails ou en donnant leur point de vue sur le sujet. Pierre Matthieu par exemple, trente-trois ans après les faits, rapporte que les bruits de chasse entendu en forêt sont considérés par certains comme produits par la Chasse de saint Hubert (d’autres diront la Chasse du Roi Arthur ). Il donne également les deux témoignages du connétable de Montmorency et du duc de Sully, témoins d’incidents semblables. En 1635, Scipion Dupleix nous renseigne sur l’apparence du Grand Homme Noir qui apparaît au comte de Soissons - on ne l’avait plus vu depuis Pierre de l’Estoile - comme prodigieusement hideux. Il suppose également que le Grand Veneur est un démon venu sur terre pour nuire aux hommes, sauf que notre chasseur n’a jamais causé de tort à qui que ce soit.

                           C’est à peu près tout concernant le corpus de cette histoire. Vous remarquerez qu’à aucun moment un lieu défini, du genre Route de Moret, Rocher aux Nymphes ou autre, n’est cité. Ces précisions, on les trouvera dans les écrits postérieurs et elles ont sans doute été conçues pour apporter un peu de piquant à l’affaire. Maintenant, si vous voulez plus de détails et par la même occasion une analyse complète de cette légende, consultez Louis Ferrand, il a bossé dur pour ça et son ouvrage en vaut la peine.
LE CHASSEUR NOIR (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)


                     Finalement on ignore à peu près tout de notre Grand Veneur Noir, mais paradoxalement des tas de trucs ont été racontés à son propos ou mis sur son compte. Comme tout le reste, variantes et inventions comprises, cela ne manque pas d’intérêt et participe plutôt à l’entretien et la conservation de cette légende, sûrement l’une des plus emblématiques de la forêt. Je vous livre en vrac tout ce que j’ai pu récolter :


                        - Historiquement et sans s’embarrasser des erreurs de dates, il serait tout d’abord apparut à Charles VI dans la forêt du Mans (il paraît que c’était également le Grand Veneur, pourtant je pensais que ce dernier était un chasseur mort sous le règne François 1er, soit un minimum de 93 ans après ce premier incident ?)(6), mais aussi à Louis XII en 1499, puis à François 1er, Charles IX dans la forêt de Lions (cf. le précédent Charles), Henri IV et de nouveau à Louis XIV en 1698. Concernant ce dernier, l’abbé Guilbert nous apprend que sur la route de Moret Louis XIV rencontra le chasseur noir qui le prévint de certains faits particuliers dont il ne parla à personne, mais qui furent confirmés plus tard par un maréchal-ferrant, parent de Nostradamus. On rapporte également de façon fantaisiste qu’il aurait rendue visite à Napoléon Ier la veille de son abdication.
                        - En 1553, dans la Gorge aux loups, il serait apparut à Diane, fille d’Henri II, et à son époux Horace Farnèse.
                            - On dit qu’il se rendait visible particulièrement à certaines époques troublées et présageait des événements tragiques, ou la mort dans l’année pour celui qui l’avait contemplé de trop près.
                          - Il aurait annoncé à Louis XVI son décès prématuré et fait de même plus tard au duc de Berry, son assassinat par Louvel. Dans le même ordre d’idées, il aurait été aperçu peu de temps avant la mort du duc et de la duchesse de Bourgogne.
                          - Joseph Bizouard le met aussi en rapport avec la mort de Gabrielle d’Estrées, rapportée par Hardouin de Beaumont de Péréfixe : « Relativement à cette apparition du grand veneur comme présage, on sait que la belle Gabrielle engageait le roi à solliciter auprès de Clément VIII, pour juger les causes du divorce avec la reine Marguerite. Le souverain pontife pressé de donner son consentement, et voyant que le roi, s'il ne l'obtenait pas, pourrait passer outre, remit cette affaire entre les mains de Dieu; il ordonna un jeûne dans toute la ville de Rome, et pria Dieu pour demander ce qui serait le mieux pour sa gloire et pour le bien de la France. Au sortir de sa prière, le pape s'écria, comme sortant d'une extase, « Dieu y a pourvu ! » et peu de jours après il arriva un courrier qui apporta la nouvelle de la mort de la belle Gabrielle. Les paroles du Saint-Père, l'apparition qui ordonna au roi de s'amender et la mort de la duchesse, forment un ensemble d'événements si extraordinaires, qu'il est difficile de n'y pas voir une intervention surhumaine »(7).
                             - Touchard-Lafosse va encore plus loin puisque d’après ce qu’il rapporte l’avertissement du Veneur était adressé directement à Gabrielle d’Estrées. Comme d’habitude le roi part chasser en forêt, mais voyez plutôt :
                            « Henri IV courait le cerf dans la forêt de Fontainebleau ; Gabrielle l'accompagnait. Il existait dans ce temps-là une vielle tradition populaire sur un prétendu grand-veneur qui, depuis plusieurs siècles, chassait à grand renfort de meute et de cors dans cette forêt. Lorsqu’un événement sinistre devait se passer à la cour. Alors le grand-veneur était bon à consulter : il donnait des avis salutaires, et prévenait, s'il était écouté, de terribles catastrophes. Or, le roi, pendant un repos de chasse, déjeunait joyeusement avec Gabrielle et plusieurs de ses courtisans, lorsqu'un bruit de chiens mêlé de fanfares se fit entendre assez près.
                      « Bassompierre, montez à cheval, et voyez ce que c'est ! » ordonna le roi.
                Après un quart d'heure d'absence, le compagnon du roi revint: il était pâle et pensif.
                 « Eh bien! lui dit Henri, avez-vous vu le grand-veneur ? »
                « Non, Sire, mais je l'ai entendu assez près »
                « Oh! Par ma barbe, c'est trop fort ! »
                « Il m'a parlé, Sire »
                « Et que vous a-t’il raconté ? »
                 « Je ne puis le répéter a Votre Majesté qu'en particulier ».
                      Et le roi s'étant retiré un peu à l'écart avec son favori, celui-ci reprit : « Cette voix, humaine ou infernale, m'a crié que si Votre Majesté ne renvoyait pas dès aujourd'hui Melle Gabrielle, il lui arriverait, à elle, un grand malheur »
                        Henri ne parla point de cet étrange avertissement à sa maîtresse, et il n'eut garde de s'y conformer. A trois jours de la, Gabrielle d'Estrées expirait dans d'affreuses convulsions »(8).
CARREFOUR DU CHÊNE FEUILLU(FORÊT DE FONTAINEBLEAU)

CARREFOUR DU ROCHER AUX NYMPHES(FORÊT DE FONTAINEBLEAU)
                       - On assure également qu’il se montre régulièrement tous les cent ans à la Croix de Montmorin.
                        - Divers gens, du cru ou non, affirmèrent avoir vu le Chasseur Noir ou entendu son cor, le soir, vers le Rocher aux Nymphes ou pendant les nuits de tempête. D’autres l’ont rencontré par certaines nuits sans lune. Il serait apparut en 1899 à un petit garçon de Veneux-Nadon. Ce dernier l’aurait aperçu dans un fourré du Chêne feuillu, à la tombée de la nuit. Il le décrivit comme un grand homme noir habillé de vêtements très collants, précurseurs du genre disco. Il montait un cheval qui galopait sans faire de bruit. La même année, une jeune Ecossaise aurait rencontré ce fantôme à la Mare d’Episy. Le scénario est classique : aboiements de chiens, sons de cors qui semblent d’abord lointains puis se rapprochent rapidement. Quelques précisions : les notes de l’instrument étaient longues et tristes et les yeux des chiens de la meute flamboyaient comme des braises dans l’obscurité. Le Grand Veneur qui était vêtu de noir, d’une sorte de pèlerine flottante et portait un cor de chasse brillant salua la jeune fille au passage. Détail inédit : les chiens, le chasseur et le cheval semblaient vaporeux, comme effacés.
MARE D'EPISY(FORÊT DE FONTAINEBLEAU)
             Vous vous en douterez, la majorité de ces infos sont d’une authenticité très contestable.
                  
                 Je terminerai ce chapitre par une anecdote qu’on m’a aimablement rapportée et qui me paraît coller parfaitement au reste et d’une certaine manière prolonger le mythe du Chasseur Noir :

                    « C’est une bien étrange aventure qui est survenue dans les années 1970 à trois jeunes gens qui s’intéressaient aux choses anciennes dans le cadre d’une association. Dans un premier temps, l’action se passe dans la petite maison de l’un d’entre eux, située à une demi-lieue de Moret-sur-Loing. Nous sommes en février, il fait très froid ce soir-là. Groupés autour d’un poêle à pétrole, ils sont à cet instant sept ou huit à compulser dans un guide de la forêt de Fontainebleau une curieuse légende évoquant l’apparition d’un Chasseur Noir, accompagné d’une meute de chiens et disant selon les témoins affirmant l’avoir rencontré « amendez vous, m’entendez vous » ou « qu’entendez vous ». Effectivement, le personnage paraît avoir été vu pendant plusieurs siècles. Cette histoire affûte le côté curieux des jeunes gens. Quelques uns disent : ‘On pourrait aller voir au Carrefour de la Croix du Grand Maître où paraît-il on risque de rencontrer le personnage’. Mais il fait froid et ils ne sont que trois à se décider à affronter l’heure tardive et les frimas. Ils embarquent dans la voiture de l’un d’eux et arrivent au fameux carrefour. Il fait très clair, c’est la pleine lune. En face d’eux, de l’autre côté de la route, on voit très bien une haute croix. Deux des protagonistes descendent du véhicule armés d’une torche électrique, le troisième préférant rester à l’arrière de la voiture, la vitre gauche baissée. Soudain lui et ses compagnons entendent des pas. Ces pas s’approchent de ceux qui sont dehors. Ils sont de plus en plus près et pourtant on ne distingue rien alentour. La torche électrique n’y change rien, on y voit bien et les bruits de pas sont là, tout près. Ils tournent autour des deux garçons glacés d’effroi. Les bruits sont de plus en plus proches, mais on ne voit toujours personne. Le troisième témoin, abrité dans la voiture, crie : « Hé les gars faites pas les cons ! ». Cela provoque une réaction et tous deux courent à la voiture, le chauffeur en tremble tellement qu’il met avec difficulté les clés dans le contact, et enfin démarre puis quitte les lieux avec le soulagement qu’on imagine»(9).
CARREFOUR DE LA CROIX DU GRAND MAÎTRE(FORÊT DE FONTAINEBLEAU)


                    Effrayant, non ? On se croirait presque dans un film d’horreur, quand le type essaye de démarrer la bagnole et que les zombies commencent à l’encercler. Blague à part, aussi incroyable que peut paraître cette histoire, j’aimerai quand même préciser que je ne cherche rien à prouver. En dépit de ce que suggèrent les adeptes de la Zététique, « la bonne foi n’est pas un argument »,  j’accorde un certain crédit à ce texte. Entendons-nous bien, si je ne remets pas en cause la véracité des propos de mon informateur,  je ne souscris pas non plus au côté surnaturel de l’événement. Une explication rationnelle doit sûrement exister.
Les bruits de chasse précèdent à chaque fois l’apparition du Grand Veneur. Peut-être que si le principal protagoniste était resté sur place il aurait finit par l’apercevoir, lui ou quelque chose du même acabit. Qui sait ?
                La légende suivante s’inspire elle aussi des mêmes thèmes, mais diffère quelque peu, quand il s’agit des spectres qui sont deux, colorés et apparemment hostiles. Je suppose qu’il est toujours question de chasseurs maudits ou infernaux, mais on ignore les raisons de leur damnation ou de leur errance. Les deux chiens apparaissant vers la fin sont sujets à polémiques : après coup, je me demande s’il ne s’agit pas des deux fantômes métamorphosés ?
                « Le 14 août 1625, à huit heures du soir, un ‘seigneur de qualité’ et son homme de chambre quittèrent Fontainebleau pour retourner à leur château. Voyageant à cheval et prudents, ils gardaient chacun un flingue dans leurs fontes. Passant du côté de la Chapelle Saint-Louis, ils entendirent un concert de cors et les aboiements d’une meute de chiens. Ne voulant rien entraver à la chasse qu’il présumait se dérouler, le seigneur s’arrêta. Il resta planté là au moins une demie heure sans rien apercevoir, mais toujours en distinguant nettement le vacarme de la chasse toute proche. Inquiet, le châtelain commença à cogiter, et une idée poussant l’autre finit par se dire que tout ça pourrait bien être un tour du Grand Chasseur de la forêt. Craignant que ça se gâte, il conseilla à son homme de chambre de décamper au plus vite, non sans avoir sorti leur artillerie juste avant. Ils reprirent leur route et parcoururent environ 800 mètres, quand soudain leurs chevaux s’immobilisèrent. Ils tentèrent de les faire bouger, leur filèrent une raclée à coups d’éperons, rien n’y fit. Ces foutus animaux ne voulaient rien savoir. Pendant ce temps, les bruits de la chasse refirent surface et les deux cavaliers se mirent sérieusement à avoir la frousse. Quelques minutes s’écoulèrent. Deux hommes apparurent alors sur la route. Le premier montait un cheval moitié noir, moitié blanc, et était habillé d’une houppelande et d’un chapeau gris dans lequel était piquée une grande plume blanche et noire. Il tenait un couteau dans une main et une trompe dans l’autre. Autour de lui se massait une meute de chiens et de faucons qui semblaient épuisés. Le cheval du second était noir et l’homme vêtu de rouge. Il affichait un chapeau gris avec une plume rouge et noire. Un dard luisant de sang dépassait de son poing. Les deux spectres traversèrent le chemin et leurs chevaux s’élancèrent parmi les fougères en sautant et ruant dans un furieux ronflement, puis sans raison firent demi tour et se mirent à charger le ‘seigneur de qualité’ et son valet. Ces derniers eurent assez de cran pour ouvrir le feu, ce qui eut un effet radical : les spectres disparurent aussitôt dans un grand roulement de tonnerre. Mais l’histoire ne s’arrêta pas là. Tandis qu’ils reprenaient leurs esprits, deux grands lévriers blancs se présentèrent à eux. Ils étaient plus balèzes qu’à l’accoutumé et portaient chacun un collier. Ils accompagnèrent un moment le seigneur, et durant tout ce temps les deux hommes eurent l’impression que ‘la terre se perdait sous les pattes des deux chiens’ qui finirent par disparaître eux aussi »(10).
LA GROTTE BÉATRIX (FORET DE FONTAINEBLEAU)

                        J’ai un peu de mal avec l’histoire contemporaine suivante, relaté par un certain Pierre François de Montigny-sur-Loing. Les ingrédients conventionnels empruntés aux récits fantastiques (le silence inhabituel, les hululements du rapace nocturne, l’orage et les éclairs) et les spectres préhistoriques, un peu trop caricaturaux à mon sentiment, me font franchement douter du truc. Je vous laisse juger du résultat : 
                 « Un soir d’automne, je me laissai surprendre par la nuit en forêt de Fontainebleau. A un moment donné, je me sentis complètement perdu (…) A vue de nez, je devais me trouver entre la Plaine verte et le Hautmont ; en tous cas autour de moi ce n’étaient que dédales de rochers. Heureusement, je me promenais avec mon chien, un setter irlandais. Cela me rassurait, bien qu’il aboyât à chaque frémissement du sous-bois, humant l’air, reniflant les traces d’animaux. A un moment donné, il se mit en arrêt et, le museau dressé vers le ciel, il hurla à la mort. J’eus beau le caresser pour tenter de le calmer, il était comme fou. Il tirait tellement fort sur sa laisse qu’il finit par me l’arracher des mains et fila vers le sous-bois en aboyant à tue-tête. Je marchai dans la direction qu’il avait prise, en l’appelant par son nom. Au bout de deux ou trois minutes, plus rien, ce fut le silence ! Un silence de mort. (…) Au loin, l’orage menaçait (…) Soudain, comme j’appelais encore mon chien, je perçus une sorte de bruissement, comme celui d’une foule silencieuse marchant à travers bois. J’avançais avec prudence, tout à fait sur mes gardes. Un hululement de rapace nocturne répercuté de roche en roche par l’écho déchira le silence approximatif de la nuit. Bientôt (…) je vis un grouillement d’ombres furtives aller en tous sens. Comme par miracle, mon chien se retrouva à mes pieds, frottant craintivement son flanc contre mes jambes. Il tremblait comme une feuille sous le vent. (…) La foule de ces ombres s’ordonna en cortège et serpenta entre les blocs de rochers, descendant vers une sorte de vaste clairière en terrasse. Tout à coup, à la lueur d’un éclair (…) je vis que tous ces inconnus étaient à peu près nus sous leurs peaux de bêtes, armés de gourdins mal dégrossis, avec des hures et des faciès d’un autre âge. Ils se dirigeaient en contrebas vers la Grotte Béatrix, d’où je vis bientôt s’élever la lueur de hautes flammes dégageant une âcre fumée et un fumet de viandes grillées. Des cris rauques et des grognements inarticulés plus proches du langage animal que de la parole humaine accompagnait ce raout. Le mirage dura plus d’une heure, puis la lueur du feu s’estompa, les bruits se turent et je vis le cortège d’ombres remonter de la caverne et s’éloigner vers la vallée. Je vous jure que je n’ai pas rêvé cette scène. Le lendemain matin, voulant en avoir le cœur net, je remontai à la grotte avec mon chien (…) je trouvai les vestiges d’un feu récent. Une odeur de brûlé flottait encore sous la voûte de pierre, et quelques os d’animaux fraîchement rongés jonchaient le sol »(11).
Voilà qui clôt notre tour des spectres forestiers.
                                                                                                                   
(1) Pierre Olivier Fanica : Bestiaire Bellifontain, Presses du Village, p 60-64 
(2) Librement inspiré de Louis Ferrand : Le Grand Veneur ou Chasseur noir de la forêt de Fontainebleau, Paris, librairie d’Argences, 1979, p 2.
(3) René Morel : La légende du Grand Veneur, Almanach de Seine-et-Marne, 1896, p180-181
(4) Louis Morin : Petites légendes locales, Revue des Traditions Populaires, Tome XIII, n°10, Octobre 1898, p 537.
(5) Librement inspiré de Louis Ferrand : Le Grand Veneur ou Chasseur noir de la forêt de Fontainebleau, Paris, librairie d’Argences, 1979, p 3.
(6) E. Théaulon et Collin de Plancy : Notice sur le Chasseur Rouge, Théâtre du Vaudeville, Volume 34, 1825, p 5
(7) Joseph Bizouard : Des rapports de l'homme avec le démon: essai historique et philosophique, Gaume frères et J. Duprey, 1864, p 235, 236.
(8) Georges Touchard-Lafosse : La Loire historique, pittoresque et biographique: de la source de ce fleuve à son embouchure dans l'océan, Volume 2,  Delahays, 1856, p 591
(9) Histoire aimablement transmise et écrite par Claude-Clément Perrot de Saint-Mammès, Seine-et-Marne
(10) Librement inspiré de Félix Herbet : Dictionnaire Historique et Artistique de la forêt de Fontainebleau, 1903
(11) Science et Magie, le monde du mystère et de l’étrange : Témoignage de Pierre François – Montigny-sur-Loing Marc Schweizer 1990, p 36-38.



Hommage au Dieu Pan, -500 av JC
                       Au début des années 60 s’est déroulée une étrange aventure aux abords du Carrefour de la Croix du Grand Veneur. Comme on le constatera, là encore il y a présence de sons produits par des instruments et des animaux. Je ne pense pas toutefois que les manifestations dont ont été témoins le couple Delsanti et Charlotte, la jeune femme qui les accompagnait, ne soient à rapprocher de celles du Chasseur Noir de la forêt. Elles lorgnent plutôt du côté du précédent récit et des dimensions parallèles où passé et mythologie antique se confondent. Avec ses deux récits il est désormais question de légendes urbaines ou modernes si on aime mieux. Ce genre d’histoires, situées à la croisée des cultures populaires et savantes, mélange allègrement para sciences et croyances dites traditionnelles. Elles jouent la carte d’un certain réalisme tout en louvoyant du côté du surnaturel. L’explication du second phénomène est d’autant plus symptomatique que la narratrice est à même de l’exprimer de manière « scientifiquement » plausible.
                        Ces trois personnes se baladaient parmi les roches du secteur Cuvier-Châtillon lorsque se produisit quelque chose d’inhabituel.
Madame Delsanti le raconte en ces termes :
                 « Nous avançâmes dans un sentier ravissant, qui menait à une sorte de clairière, limitée par des rochers dressés d’environ deux mètres de haut. Et c’est alors que tout bascula. Il y eut d’abord la musique. D’étranges sons en vérité. On n’y reconnaissait aucune mélodie familière à l’oreille, mais une curieuse succession de notes, tantôt aiguës, tantôt très graves, comme des gouttes d’eau, des perles de cristal s’égrenant dans l’eau, accompagnées peut-être d’un chant de flûte… Et puis, autour de nous, comme un piétinement de sabots sur les feuilles et l’écho de rires lointains ». « Tout à coup, comme prise d’une étrange possession, Charlotte lança ses affaires sur le sol, puis se jetant à terre, s’y roulait en postures érotiques, semblant s’accorder aux séquences de l’étrange musique ». Moi-même, je me sentais étourdie et je me dirigeais vers l’un des rochers qui bordaient la clairière, quand mon mari, posant la main sur mon épaule, déclara : - Partons d’ici, je ne reconnais pas ce paysage. Vite, allons-nous-en ! Ramassant les objets dispersés par Charlotte, nous parvîmes à la faire se redresser. Et, rompant l’espèce de cercle invisible qui nous enserrait, nous l’entraînâmes le plus vite possible vers un autre chemin, balisé celui-là. Il nous fallut près d’une heure pour retrouver la Croix du Grand Veneur, notre voiture et la civilisation. Nous gardions un silence prudent, essayant d’ignorer les piétinements de sabots derrière nous et les rires moqueurs, qui finirent par diminuer, puis cesser tout-à-fait. J’avais la nuit suivante fort mal dormi, poursuivie par le piétinement de faunes cornus, si proches de moi qu’étendant la main j’aurais pu toucher leur pelage roux, semblable à celui d’un cerf. Pour ma part, je crois qu’il existe encore, sur la terre, dans des sites très spéciaux, des possibilités d’accès à d’autres dimensions, où existent, ou subsistent, des êtres différents de nous, qui interfèrent parfois notre atmosphère, et nos vies »(1).

(1) Science et Magie n°44, année 1997 : une étrange mésaventure en forêt de Fontainebleau, Serge Hutin, p 49-51.


Women in Black
                    Les rumeurs sur de mystérieux « hommes en noir » ne manquent pas. Cette formule, de notoriété mondiale, renvoie à d’énigmatiques personnages issus du folklore contemporain américain. La majorité des récits les décrivent comme des types d’allure officielle, un peu coincés, travaillant pour le gouvernement et vêtus de costumes sombres datant des années 50. Leur boulot serait d’empêcher les êtres humains d’accéder à un savoir supérieur, dont les connaissances extraterrestres feraient partie. C’est en partie pour ça qu’on signale régulièrement leur présence dans les affaires d’ovnis ou de phénomènes inexpliqués.
Le témoignage découvert sur le site de Christian Macé met en scène une sorte de pendant féminin de ces fameux Men in black. Soulignons que le principal acteur de cette aventure a été muté depuis dans une caserne à Marseille et que Macé n’a toujours pas vérifié l’info auprès de ses collègues du CERPA, le Centre d'Etudes et de Recherches sur les Phénomènes Aérospatiaux. En attendant une confirmation de leur part, voici ce qu’on nous propose :
                        « M. Renoir, un membre des Compagnies Républicaines de Sécurité, en clair, les C.R.S, vadrouillant un soir en lisière de forêt, du côté de Barbizon (j’empiète un peu sur le canton de Perthes), fit la connaissance d’une femme. La nana était plutôt pas mal, grande, brune et toute vêtue de noir. Jusqu’ici tout allait bien. Le policier décida de tenter le coup et passa de chouettes moments avec elle. Sauf qu’au bout de quelques mois, il dut brusquement mettre un terme à leur relation. Ce qu’il avait fini par découvrir l’avait effrayé et rendu perplexe au plus haut point. Il faut dire que cette demoiselle était sensiblement différente de ses congénères : elle ne s’alimentait pas, ne s’abreuvait pas et avait le chic pour se dématérialiser. Renoir avait même testé la chose en présence d’un tiers. Par chance, question sexualité notre homme n’eut rien à redire, car sa constitution était identique à celle d’une femme normalement formée »(1).

(1) Consulter le site : http://ufoweb.free.fr/mace9.htm



Le périple forestier des OVNIS : Fontainebleau express 1954/ 2006
                     Le folklore est protéiforme, il est partout, trahi par des croyances, des rites, des légendes archaïques mais aussi contemporaines. Il évolue sans cesse, et est constamment réélaboré par le biais d’innovations individuelles et anonymes. C’est un ensemble hétérogène où rivalisent mythes anciens et créations récentes. On ne peut y échapper. A ce titre, et en guise de complément, je voudrais quand même signaler les apparitions d’Ovnis qui eurent lieu en forêt de Fontainebleau et dont les différents thèmes forment un légendaire moderne à eux seuls. Je ne rentrerai pas dans les détails, ni dans des interprétations, et me limiterai à quelques échantillons :
                 « Septembre 1954 : une certaine Mme Gamundi, roulant sur la RN7 au cœur de la forêt de Fontainebleau, aperçut dans le ciel un vaste globe de couleur rougeâtre (ou un cigare rouge, selon les différents rapports) enveloppé d’une sorte de fumée mouvante également lumineuse. Le globe demeura immobile pendant une demi-heure. Durant ce laps de temps, une autre boule lumineuse beaucoup plus petite apparut soudain de la partie inférieure du globe, et après quelques secondes de chute libre ralentit avant d’obliquer et de s’éloigner à toute allure. Se succédèrent ainsi plus d’une douzaine de sphères, jusqu’à ce qu’un avion, filant en direction du globe, contraignit ce dernier à changer de place, puis à s’élever à grande vitesse vers les nuages où il disparut en quelques secondes ».
                 « Parallèlement, M. Rabot, qui conduisait le long de la même route à peu près au même moment, aurait observé lui aussi l’objet ressemblant à un cigare/sphère rouge entouré de ce qui semblait être une fumée lumineuse. Des phénomènes similaires auraient été également signalées à Ponthierry ».
               « Mai 1967 : M. Hennequin observa au-dessus de la forêt de Fontainebleau un ovni ayant une forme triangulaire. Quelques heures plus tard, une formidable tempête s’abattit sur cette zone ; on raconte que plus de 25 000 arbres furent déracinés ».
               « Août 1977 : un couple repéra un engin discoïdal, tournant sur lui-même à moins de 250 m de hauteur, qui largua un autre engin de plus petite taille ».
                « Décembre 1978 : vers 5 h du matin, au-dessus de la Plaine de Chanfroy, un habitant de Saint-Martin-en-Bière aurait vu dans le ciel un objet brillant de couleur blanche évoluant à basse altitude ».
                 « Août 1991, 3 h du matin, un peu avant d’atteindre Bourron-Marlotte, un automobiliste distingua une forme géométrique dans le ciel. Cette forme triangulaire était d’une taille immense, tellement gigantesque qu’elle en assombrissait le ciel. Aucune lumière, ni aucun bruit n’émanaient de cet objet. Le témoin remarqua néanmoins une multitude de formes géométriques plus ou moins sombres sur la face inférieure. D’après lui, les dimensions de cet engin volant devaient atteindre plusieurs kilomètres de côté. Cet appareil volait à quelques centaines de mètres d'altitude ».
                  « Novembre 1993 : circulant sur la RN152 en direction d’Ury, un couple observa une immense sphère rouge vif qui se déplaçait ».
                  « Septembre 1998 : à proximité d’une grotte de la forêt de Fontainebleau, un groupe de jeunes gens vit une énorme masse sombre flottant à 15 mètres au-dessus des arbres et à 50 mètres de l’endroit où ils se tenaient. Cela ne dégageait aucune lumière et avait la forme d’un M&M’s, on dira ovoïde, avec deux sortes de queues qui partaient vers la gauche. L’objet s’est éloigné au bout de 2 minutes ».
                « Juillet 2000 : 3 h 30 du matin, au lieudit les Sables du Cul de Chien, une lueur imprécise tout d’abord immobile se serait mise en mouvement avant de s’éloigner rapidement jusqu’à disparaître. D’après les témoins, le déplacement de l’objet ne correspondait en rien à un avion, ni à un satellite ».
                  « Juin 2006 : au niveau du Rocher Clotilde, vers 23 h 30, et durant 3 minutes, un témoin aurait vu un disque lumineux se déplaçant très rapidement (il parle d’une bonne centaine de km/h). La lumière qui en émanait était de couleur jaune pâle, comme tamisée. L’objet volait à une altitude comprise entre 300 m et 1000 m »(1).



Traditions et coutumes Bellifontaines, portrait d’une absence qui dure
                        Ce que j’ai pu dire à propos des légendes de la forêt se trouve amplifié dès lors qu’on touche aux traditions liées aux éléments naturels comme les arbres, les rochers ou encore les eaux douces. Un néant presque total règne en ces divers endroits. C’en est presque effrayant. A dire vrai, il n’y a presque rien de connu ni d’attesté. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait jamais eu quelque chose, mais à l’heure actuelle il faut se contenter de maigres informations et d’hypothèses plus ou moins hasardeuses.
Les arbres par exemple. Alphonse Fourtier nous apprend dans son livre « qu’il existait avant la Révolution, dans la forêt de Fontainebleau, deux vieux chênes qui recevaient de nombreuses visites, l’un appelé le Chandelier, et par le peuple le Pot à la graisse, l’autre le Bouquet du roi »(1). Ces deux arbres ont aujourd’hui disparus. Le Bouquet du Roi aurait été brisé par le vent, un peu avant 1873. Ils se situaient respectivement près du Carrefour de Paris et au lieu-dit la Tillaie. Quel crédit pouvons-nous accorder à ces visites ? Etaient-ils l’objet de cultes particuliers ? Le surnom populaire du premier rappelle-t-il l’ancienne coutume d’oindre de graisse certains réceptacles naturels (pierres, monuments mégalithiques) ou tout simplement parce que sa forme  évoquait ce genre de récipient ? Paillet nous en fait une description qui est loin de ressembler à un pot : « Ce chêne, qui avait 14 pieds de circonférence, se voyait au bord de la première route à droite en haut de la montagne du côté de Paris. Son tronc était très gros, jusqu’à la hauteur de huit à dix pieds ; ensuite, il en partait assez régulièrement trois branches à peu près égales, qui formant d’abord une courbe se redressaient tout d’un coup à côté du tronc, qui continuait ainsi à s’élever- quoique bien moins gros que dans la partie inférieure, et formaient avec lui une seule tête ». D’autres ont été signalés par Adolphe Joanne : « le Clovis, l'Henri IV et le Sully, la Reine Blanche, arbre du Bas-Bréau, incendié pendant l'hiver de 1856 par des imprudents qui firent du feu dans sa cavité; le Charlemagne et le Chêne des Fées »(2).
ROCHE A GLISSADE (NOISY-SUR-ÉCOLE)
 
                               Et que penser des ex-voto du genre de Notre-Dame-de-la-Délivrance ? Ne fonctionnent-ils pas en résonance avec d’anciennes croyances aujourd’hui perdues ?
                              Il ne subsiste pas plus de coutumes associées aux pierres ou aux rochers. Restent quelques blocs susceptibles d’avoir été un jour dépositaires d’une légende ou d’un usage locaux. Dans l’Inventaire des mégalithes, polissoirs et hypogées en France, de Francis Cahuzac, on trouve au paragraphe Fontainebleau, une « pierre à glissade » visible en bordure d’un chemin ondulant entre les parcelles 243 et 244. Alain Bénard en signale une autre dans le Massif des 3 Pignons, au nord du cimetière de Noisy-sur-Ecole, le long de l’allée forestière longeant le Mont Pivot. Toutes deux présentent des vestiges de ce sport rituel, et ont une déficience similaire : elles ne sont actionnaires d’aucune tradition. Pour rappel, les roches à glissade sont principalement en rapport avec l’amour et la fertilité. Le challenge, en majorité pour les femmes, est de grimper au sommet d’une roche inclinée réputée pleine de vertus et de se laisser glisser cul nu jusqu’en bas. Les résultats recherchés sont souvent différents. Dans certains coins de France, si la femme arrivait jusqu’au sol sans s’écorcher, elle était assurée de trouver bientôt un mari. Ailleurs, c’était pour les propriétés fécondantes de la glissade, ou pour faciliter un accouchement. Parfois même on tirait des présages des incidents de la descente selon que l’adepte arrivait en bas, facilement ou sans encombre, à droite, à gauche, au milieu… Cette action, souvent répétée, a fini par donner un certain poli aux roches en question, mais malheureusement pas toujours une histoire ou une pratique traditionnelle.

(1) Alphonse Fourtier : Les Dictons de Seine-et-Marne, Provins, Lebeau, 1872, p79.
(2) Adolphe Laurent Joanne : Les environs de Paris illustrés Itinéraire général de la France, Hachette et cie, 1868, p 506.
LA ROCHE QUI TOURNE D'AVON
Aux portes d’Avon, en haut du Carrefour de Mayenne, se dresse une haute et grosse roche, vaguement quadrangulaire, surmontée d’un bloc plus petit que l’on peut faire bouger. L’ensemble était autrefois appelé Roche qui tourne, mais pour certains seul le petit grès sommital est ainsi désigné. Il existait même un Parquet de la Roche Qui Tourne, nettement visible sur le Plan Général de la Forêt de Fontainebleau de 1727 dont il ne reste aujourd'hui quelques vestiges hypothétiques de murs. Mais un petit malin préféra un jour la rebaptiser sous le nom de la Dame Jeanne-d’Avon, en hommage au célèbre bloc de Larchant. Ce qui est intéressant là-dedans, ce n’est pas tant qu’on lui ait refilé ce nom que la présence sur le territoire de plusieurs légendes de pierres ou de monuments mégalithiques qui bougent, dansent ou se déplacent, le tout à des dates précises ou dans des circonstances spéciales, sans qu’on ne sache trop pourquoi. A chaque fois que minuit carillonne certains menhirs tournent sur eux-mêmes, certains se mettent en branle pendant l’Evangile de Noël ou la Messe de Minuit. D’autres dansent au son des cloches, quand le tonnerre gronde, ou lorsque le coucou chante pour la première fois. Il y en a même qui vont se désaltérer pendant la nuit de Noël, mais ça c’est une autre histoire. J’ignore si l’ancienne Roche qui tourne d’Avon jouait dans la même cour que les autres, mais en tous cas son nom semble l’indiquer. Un autre truc. Ce bloc est à moins de 250 m des premières habitations et c’est sûrement un indice de plus en faveur de cette hypothèse. Encore une précision : Antoine Laurent Castellan, un peintre-écrivain-graveur-voyageur du début du XIXe, a réalisé une eau-forte d’une Roche Branlante qui semble en tous points correspondre à notre Roche qui Tourne. N’ayant cependant pas d’autres éléments en main, je ne peux pas le confirmer à 100%, d’autant que Frédéric Bernard mentionne dans son livre deux blocs qui semblent distincts : la Dame-Jeanne et la Roche Branlante(1)
Une rumeur contemporaine distillée par Serge Hutin et par d’autres voudrait que la forme de certains rochers de la forêt de Fontainebleau ne soit pas d’origine naturelle. Je comprends. Il est parfois difficile de ne pas s’interroger sur les aspects vraiment surprenants de nombreux blocs. Tout le monde connaît l’éléphant » d’Apremont et les tortues de Franchard, pour ne citer qu’eux. Hutin croyait que les rochers figuratifs de la forêt auraient été modifiés ou aménagés à la protohistoire de façon à leur donner une forme délibérée. Il pensait qu’ils faisaient « partie d’un ensemble fort complexe, d’itinéraires initiatiques à parcourir, jalonnant une série d’épreuves à subir par des rites ressortissant tout à la fois de la magie et des croyances religieuses primitives »(2). A peu près au même moment, Daniel Ruzo, un préhistorien péruvien en voyage dans la région, y vit le témoignage de la civilisation Masma, une  vaste culture antédiluvienne étendue sur tout le globe et qui n’aurait laissé, rien que pour nous, des sculptures d’hommes et d’animaux. Sympa, non ?
                            Dans le même ordre d’idée, les Croniques admirables(3) rapportent que pour stopper l’avancée de l’armée de bédouins du géant Gallimassue, sur les hauteurs de Château-Landon, Gargantua arracha toutes les raves des environs pour s’en servir contre ses ennemis. Réalisant que les racines comestibles leur faisaient autant d’effet et de mal que s’il les avait frappés à coups de chaussettes sales, Gargantua se résolut à employer la manière forte : à savoir les bons et gros rochers de grès qui parsemaient la région. En s’éparpillant un peu partout, ils formèrent les blocs et les chaos rocheux de Larchant et de la forêt de Fontainebleau

(1) Frédéric Bernard : Fontainebleau et ses environs, Hachette, 1853, p 98.
(2) Serge Hutin : Science et Magie n°44, année 1997 : une étrange mésaventure en forêt de Fontainebleau, p 41.
(3) Henri Dontenville Histoire et géographie mythiques de la France, Maisonneuve et Larose, 1973, p 315.


                  Plus sérieusement, Pierre Schmidt et Jean-Marie Garnier auraient découvert le 30 septembre 1973 un menhir au nord de Sorques, au lieu-dit l’Escargot. Planté en plein chaos gréseux, sa présence en ces lieux laisse dubitatif. Pourtant le menhir des Buttes Noires à Champcueil est lui aussi cerné par tout un tas de blocs, ce qui ne l’empêche pas d’être un véritable menhir. Il n’est pas très distant du Loing, tout du moins pas plus que la Pierre Fritte du Lunain, comme le sont la majorité des mégalithes de la région. En outre, nos deux chercheurs ont fait remarquer que les extrémités Nord et Sud ainsi que la face Ouest présentent d’importantes desquamations tandis que la face Est semble intacte, ce qui signifie que cette dernière reposait certainement sur le sol avant que la pierre ne soit redressée. Cela ne veut pas forcément dire que ce soit le résultat d’une démarche humaine. La nature a très bien pu se débrouiller toute seule pour planter ce caillou, même si la pilule est quand même difficile à avaler. En l’état actuel des choses et sans sondages ou fouilles effectués, on peut toujours le considérer comme suspect. C’est à vous de décider. Mais ça, je crois déjà vous l’avoir dit.
MENHIR OU ROCHE NATURELLE DE L'ESCARGOT (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)

Si les deux premières thématiques étaient loin d’êtres prodigues, la dernière, qui concerne les eaux douces, l’est un peu plus, mais tout de même pas autant qu'on  pourrait le croire.
            Rendons-nous sans tarder près des ruines de l’ermitage de Franchard où se remarquent une Fontaine des Ermites et une Roche-qui-pleure. Ce bloc, marqué d’un astérisque bleu, est une sorte de vaste abri sous platière, qui fait face à la Roche des Ermites au début du sentier Dénecourt n° 7 plongeant dans les gorges de Franchard. Elle doit son nom au fait que par temps de pluie de l’eau ruisselle le long des parois. La Fontaine des Ermites, à gauche du puits du même nom, a été restaurée par Colinet en 1902 et vandalisée récemment par des abrutis. Jusqu’ici, il n’y a rien de très compliqué. Par contre lorsqu’on cherche à savoir qui est quoi et qui fait quoi, les choses se corsent.
LA ROCHE-QUI-PLEURE (FRANCHARD, FORÊT DE FONTAINEBLEAU)
Pour commencer, Domet ne parle pas d’une fontaine, mais d’une citerne qui se trouvait devant les portes des bâtiments primitifs. Vu que ceux-ci ont été détruits, on peut imaginer que la citerne se trouve actuellement séparée des corps de bâtiments restants. C’est le cas de la Fontaine des Ermites, et comme il n’existe pas d’autre point d’eau de ce genre, (excepté le puits de construction récente) il y a fort à parier que citerne = Fontaine des Ermites. D’ailleurs, dans son article sur l’ermitage de Franchard, Dorvet parle clairement d’une citerne des Ermites. Domet, lui, observe que « le mardi de la Pentecôte, les populations voisines accouraient en foule pour profiter des vertus miraculeuses que l’on prêtait aux eaux roussâtres de la citerne (…) ainsi qu’aux gouttes qui s’échappent de la Roche-qui-Pleure, à quelques pas de là ; en 1630, un médecin de Melun, M. Guérin, prétendit que ces eaux avaient les mêmes effets que celles de Pougues, mais la croyance populaire leur attribuait surtout le pouvoir de fortifier la vue des jeunes enfants et de guérir les maux d’yeux en général ; encore maintenant le mardi de la Pentecôte au matin, plus d’une mère vient parfois de loin baigner la figure de son nouveau-né »(1).
Ces eaux désignent quoi exactement ?  Celles de la citerne et de la Roche-qui-Pleure ou seulement celles de cette dernière ? 
Lecotté, lui est encore plus confus. Il énumère : « Fontaine Notre-Dame, Citerne, puits et lieu-dit : l’Ermitage. Roche des Ermites et ‘Roche qui Pleure’ ». Il nous parle ensuite de la statue de la Vierge, puis reprend : « Fontaine, dont l’eau ne tarit pas, et qui eut jadis une réputation miraculeuse (elle est devenue « la Roche qui Pleure ») et passait pour préserver la vue, guérir les maladies des yeux et fortifier la vue des enfants. Légendes (origine de la source) : les larmes du Juif-Errant, aussi celles d’un saint Franchard, solitaire, qui aurait créé cette source bonne pour les convulsions. Jadis messe solennelle à la chapelle. Encore en 1873, on allait à la fontaine le matin du mardi de Pentecôte y baigner la figure des nouveaux-nés. On venait de loin, on disait : aller à la ‘Saint-Franchard’ »(2).
Donc si j’ai bien tout compris, la Fontaine Notre-Dame est devenue la Roche qui Pleure. Pour quelle raison ? On n’en sait rien. Le souci c’est que je n’ai rien trouvé sur cette fontaine. Lorsque les différents auteurs parlent d’une fontaine à Franchard, c’est toujours celle des ermites. Lecotté complique encore les choses en nous rajoutant une source qu’il n’avait pas mentionnée jusqu’ici. Au final, on est passé d’une fontaine et d’une Roche-qui-Pleure à un puits, une citerne et une source. Ne manquait plus que la mare voisine pour compléter le tableau.
Dans son Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, publié en 1822, Jacques Albin Simon Collin de Plancy rapporte à propos de la Roche-qui-Pleure : « Franchard, solitaire qui se sanctifia autrefois dans la forêt de Fontainebleau. Nous n’avons pas découvert sa légende. On vénère sous son nom, aux lieux qu’il habita, une roche qu’on appelle aussi la Roche qui Pleure. C’est une grande pierre de laquelle il découle continuellement une goutte d’eau ; et l’on assure que le saint fît cela par tendresse pour les gens du pays. Tous les ans le jour de saint Franchard, qu’on fête d’un culte mobile, le lendemain de la Pentecôte, les bonnes femmes recueillent l’eau de sa roche dans de petits vases, avec la persuasion que c’est un remède infaillible pour les convulsions des enfants »(3)
Alleau, citant l’abbé Etienne, ajoute en parlant de la Roche-qui-Pleure qu’elle est « creuse à sa superficie, elle conserve l’eau de pluie qui filtre et s’écoule goutte à goutte à travers les fentes du rocher. Autrefois, on venait y chercher de l’eau ; on croyait guérir ainsi les fièvres »(4).  
Castellan précise :
« L’eau de la Roche qui Pleure était un spécifique contre les maux d’yeux dont on devait la guérison à l’intercession du saint anachorète (Franchard ?) qui jadis habitait ces lieux »(5).  
Un dernier que j’aime bien, parce quand il évoque la Roche-qui-Pleure Jamin a au moins le mérite d’être clair :
« Son nom lui vient de l’eau qui en coule presque continuellement, et ne tarit qu’à la suite d’une grande sécheresse (…) l’infiltration se faisant lentement a donné lieu aux habitants des campagnes voisines de regarder comme un phénomène ce qui, en réalité, est la chose la plus ordinaire du monde. La superstitieuse niaiserie d’un public encore peu éclairé a contribué tellement à accréditer l’opinion que l’eau de la Roche qui Pleure est douée d’une vertu particulière, qu’on a fini par y croire. Il n’est donc pas rare d’y rencontrer, non seulement de bonnes femmes à genoux, une fiole à la main, placées de manière à recevoir quelques gouttes de cette liqueur bienfaisante, mais aussi des dames (…) Les larmes qui s’échappent du sein de cette roche miraculeuse ont la réputation de guérir chez les enfants certaines maladies, et de donner de la force aux rachitiques : c’est aussi un spécifique unique pour les maux d’yeux (…) »(6).
Quand à la légende du Juif Errant, c’est Benoît Lévy qui dans la première moitié du XIXe siècle la rapporta dans les Archives israélites de France. L’histoire a été racontée à peu près en ces termes :
« En 1254, Saint-Louis résidait à Fontainebleau. Il était venu y rétablir sa santé dans une modeste retraite qu'il appelait nos déserts, et qui avait été construite par Philippe-Auguste. A cette époque, cette immense forêt n'était pas encore percée pour la chasse. Là, au pied de la montagne régnaient le silence et la désolation, et ce coin de terre ignoré des hommes et brûlé par le soleil, ressemblait presque à une forêt vierge. Le roi Louis IX se promenant par hasard de ce côté, cherchant un abri contre la chaleur, se reposa un instant dans la fraîche cavité de cette grotte. Comme toujours, de pieuses pensées agitaient son esprit, lorsque tout-à-coup son attention fut éveillée par le bruit argentin de ces gouttelettes qui tombaient lentement de la voûte et venaient en frémissant expirer à ses pieds. Le roi se lève effrayé, sort de la grotte, et sur le sommet du rocher il voit un vieillard à la mine flétrie, au regard résigné, au costume singulier, lequel s'appuyait en chancelant contre la paroi de la roche qu'il mouillait de ses larmes. Louis IX, étonné de cette apparition étrange, allait questionner ce vieillard, quand à travers le feuillage des pins agités une voix éclatante cria : Marche! Marche! Aussitôt cette fantastique apparition disparut; le roi comprit qu'il avait vu le Juif Errant, et il reconnut avec une pitié profonde que le rocher qui avait été arrosé par les larmes de cet éternel voyageur les distillait goutte à goutte, comme pour conserver la trace éternelle du passage de cette grande infortune. Louis IX rentra tout pensif dans sa retraite des Déserts, et le lendemain toute la cour revint avec lai en procession à la Roche qui pleure, poser la première pierre d'un hôpital et d'une chapelle, que le roi très chrétien fit élever en ces lieux pour les purifier. Il s'agenouilla sur le sable, écouta le bruit de cette goutte d'eau, que l'on disait être une larme échappée aux yeux d'un infortuné, et le roi de France pria pour le juif dont le sort était si misérable et la douleur si profonde. Le souvenir de la Roche qui pleure suivit le roi à Paris : il tenta d'améliorer la situation des juifs, si nombreux alors, errants et proscrits en France ; il rendit différents décrets pour les protéger; il rapporta les ordonnances qu'il avait rendues contre eux l'année précédente, et se contenta de proscrire le Talmud et de leur défendre l'usure et le blasphème. La chapelle et l'hôpital n'ont pas laissé de trace dans la forêt de Fontainebleau, mais une larme se détache encore sans cesse du sommet de la Roche qui pleure »(7).
Cherchant à donner une explication à sa désignation, Dorvet rapporte que la Roche qui Pleure était autrefois appelée la Roche Grise. Visiblement cette histoire est de son cru. Elle raconte le combat entre deux frères amoureux d’une même femme, nommée Blanche. L’un des frères meurt, Blanche aussi, alors qu’elle tentait de s’interposer. Pas de bol. Plus tard des bergers trouvent les cadavres et se mettent à prier. Alors, en témoignage du meurtre, la Roche Grise se met à verser des larmes. Rideau.
Pas génial, je sais. En revanche, notre ami Dorvet signale une seconde roche qui n’a rien à voir avec la précédente. Je n’ai rien trouvé d’autre à propos de cette pierre qui me paraît être un ancien support de croix, différent de celui du Carrefour de Franchard.
« Entre l’habitation du garde forestier et la mare qui tarit fort rarement, on trouve une roche de petite dimension et bien modeste et qui cependant est l’objet d’une certaine vénération ; c’est là, sur le sommet peu élevé de ce grès, de cette pierre isolée des autres roches, foulée tous les jours par le pied d’un promeneur inattentif, que fut planté le symbole de la foi des premiers ermites qui habitèrent le désert de Franchard. C’est là, en plein air, souvent à l’injure du temps, que les pieux cénobites venaient prier et adorer. Cette roche, ce rustique piédestal de leur prie-dieu, montre sur son sommet le trou carré dans lequel ils avaient encastré le pied de la croix. On remarque même sur les divers côtés de ce grès les endroits usés par la pose fréquente des genoux »(8).

(1) Paul Domet : Histoire de la forêt de Fontainebleau, Paris, Hachette 1873, p 8.
(2) Roger Lecotté : Les cultes populaires dans le diocèse de Meaux, Mémoires de la fédération folklorique d'Île-de-France, Paris, 1953, p 128.
(3) Jacques Albin Simon Collin de Plancy : Dictionnaire critique des reliques et des images miraculeuses, Paris, 1822, p227-228.
(4) René Alleau : Guide de Fontainebleau mystérieux, 1967, p 169.
(5) Antoine Laurent Castellan : Fontainebleau, Paris 1840, p 49.
(6) E. Jamin : Quatre promenades dans la forêt de Fontainebleau, chez Rabotin, Fontainebleau, 1837, p 196-197.
(7) Benoît Lévy : La Roche Qui Pleure, Archives israélites de France, Bureau des Archives Israélites de France, 1847  p 613-615.
(8) Dorvet : L’ermitage de Franchard, l’Abeille de Fontainebleau, 7 Juillet 1871.
                                Nous avons fouillé les lieux en famille, et ma femme a finit par mettre la main sur une roche correspondant à la description ci-dessus. Pour s’y rendre, rien de plus simple. Il suffit, lorsqu’on est face à la Fontaine des Ermites, de prendre à droite et de suivre la série de trois bancs de pierre. Elle est juste derrière le dernier, celui qui est placé entre deux souches d’arbres. Elle ressemble vaguement à une grosse poire couchée. Au plus haut, elle ne mesure pas plus de 70 cm, et au plus long environ 2,10 m. En bas à gauche, elle porte une balise blanche et des restes de marques rouges et blanches du GR. La partie côté ermitage est bien adaptée pour s’agenouiller, mais je n’ai pas remarqué les « endroits usés », décrit par Dorvet.
SUPPORT DE CROIX (FRANCHARD, FORÊT DE FONTAINEBLEAU)

               Descendons maintenant vers le sud-est, à environ 2,5 km de la Roche qui pleure, pour rejoindre le Puits du Cormier. A en croire l’opinion générale et bien pensante, il y a un seul et unique Puits du Cormier, mais allez donc fouiller un peu dans le territoire prétendu l’abriter ; vous aurez toutes les chances de vous trouver face à un dilemme des plus délicats : lequel parmi les deux puits existants est le bon ?
PUITS DU GRAND PARQUET
Mais faisons le point. D’abord un peu d’histoire.
L’Abbé Guilbert qui suppose que les « différents puits que l’on trouvaient avant 1700 dans les huit « gardes » de la forêt avaient été construits pour faire boire les chiens de chasse, ou les bêtes dans de grandes auges de pierre que des hommes gagés étaient obligés d'emplir »(1), nous dit à propos du Puits du Cormier « Que l'on voyait encore en 1630, proche de ce puits, un grand corps de Bâtiment qui servait sans doute à loger celui qui avait la garde de cette partie (de la forêt) »(2)
Antoine-Laurent Castellan est plus bavard et nous en donne une description plutôt complète, même si son emplacement exact reste vague : « Il se trouve dans la plaine, entre le chemin d'Achères et l'atelier Grandjean. Il était autrefois, accompagné d'un grand corps de bâtiment couvert de pierres en terrasse, et qui naguère a été démoli. On peut croire que ces puits étaient ceux qui servaient aux anciens habitants des manoirs et métairies qu'on a réunis, soit par achat, soit par confiscation, au domaine royal; et, comme nous l'avons dit, on a fait du temps de François I" beaucoup de ces transactions. Quant au puits du Cormier, il n'est pas douteux qu'il ne fût entouré d'un grand bâtiment couvert en pierres et en terrasse, par conséquent voûté. Etait-ce un château ou un monastère ? Quoiqu'il en soit, ce puits se trouve au centre d'une vallée autrefois couverte de vieux arbres, et à cette heure dans une plantation nouvelle, au point de réunion de plusieurs allées ou routes de chasse. On l'a laissé subsister jusqu'à présent, en se bornant à l'enfermer d'un treillage serré pour que les bêtes fauves et les cavaliers qui les poursuivent ne s'y précipitent pas. Il est construit par assises régulières et avec de grandes pierres de grès dont les parements sont taillés avec beaucoup de soin. Il n'est pas comme la plupart des puits, entouré d'une mardelle, mais il paraît avoir été recouvert par une tour ronde et voûtée, comme il en existe quelques-uns dans le Soissonnais. Ce que celui-ci a de remarquable, c'est un conduit souterrain qui y aboutit, non en ligne droite, mais en tournant, comme si le vide du puits était le centre d'une volute. Ce conduit est presque au niveau du sol et recouvert de larges dalles qui en forment le plafond. Celles qui sont les plus voisines du puits ayant basculé, ont laissé à découvert la direction de ce conduit qu'elles bouchent d'ailleurs de manière à ne pas permettre de pénétrer clans cet étroit corridor On se demande, quel en était l'usage? Apportait-il les eaux de quelque fontaine maintenant tarie, ou celles de la pluie pour remplir cette espèce de citerne? Ou bien une source abondante s'élançait-elle du fond du puits et s'écoulait-elle par ce conduit qui servait d'aqueduc jusqu'à la ville vers laquelle il semble en effet se diriger ? »(3).
Pour finir, il rapporte que les vestiges du puits sont parfois observées comme « les horribles restes du manoir d'un déloyal baron ou d'un Moustier habité par des moines, dont l’excavation était le vade in pace ou les oubliettes, et le corridor tournant était le chemin par où l'on conduisait les malheureux à une mort certaine et épouvantable »(4).

(1) Pierre l’abbé Guilbert : Description historique des châteaux, bourg et forest de Fontainebleau, tome 2,  1731, chez André Cailleau à Paris, (p185-186)
(2) Pierre l’abbé Guilbert : Description historique des châteaux, bourg et forest de Fontainebleau, tome 2,  1731, chez André Cailleau à Paris, (p185-186)
(3) Antoine Laurent Castellan : Fontainebleau, Paris 1840, (p 17-19).
(4) Antoine Laurent Castellan : Fontainebleau, Paris 1840, (p 19).
LE PUITS DU CORMIER (EAU-FORTE DE CASTELLAN)
Les auteurs plus récents (Colinet, Denecourt, Domet, Herbet, et Fatoux qui le situe dans les Gorges de Franchart !!) qui en parleront au détour de leur bouquin ne fourniront aucune information supplémentaire et passeront sous silence sa position précise. Voyons à présent de quoi il en retourne aujourd’hui :  
Lorsque j’ai découvert le premier puits en 2007, il se situait au fond de l’hippodrome du Grand Parquet, à l’intérieur de la carrière(1) du Puits du Cormier, sur une petite butte où se dresse toujours un chêne (sic). Sur l’Arrêté Préfectoral du 06 Octobre 2009(2) il est dénommé Puits Cormier et le personnel de l’hippodrome me l’a désigné comme tel. Pour eux il n’y avait aucune équivoque possible, ce puits était bien celui que je cherchais. La Route de Léonard de Vinci passe derrière, de l’autre côté du mur, à moins de 50 m. Pas très loin non plus, on peut encore apercevoir les restes des murets qui bornaient autrefois le Parquet du Puits du Cormier et dans lequel le puits semblait inséré. Seul ce dernier avait été conservé ainsi que quelques moellons de part et d’autre. Son diamètre est inférieur à 1m, ce qui est loin de coller avec celui du puits visible sur l’eau-forte qu’a réalisée Antoine Laurent Castellan. J’ai bien l’impression que c’est l’une des seules représentations qu’on en ait. Toutefois j’ignore si son dessin est véritablement à l’échelle. Je sais par exemple que les proportions qu’il a attribuées au Rocher Bébé ont été largement amplifiées. Il est alors envisageable que Castellan ait également pris quelques libertés avec le Cormier. Toutefois Félix Herbet parlant du Puits du Grand Parquet nous dit qu’ « On a creusé dans le Grand Parquet plusieurs puits qui existent encore, les uns à ras de terre, les autres avec de petites constructions qui garantissent les promeneurs et les animaux contre les accidents ». S’agit-il de l’un de ceux-là ? Passons. La margelle était au niveau du sol. Elle était protégée par un couvercle en ferraille rectangulaire peint en vert. Une nouvelle pompe de captage avait été installée à proximité. Aujourd’hui, le puits n’est plus du tout visible. Il a été rebouché durant l’hiver 2008-09, la carrière a été déplacée vers l’intérieur de l’hippodrome d’une cinquantaine de mètres et l’espace vierge sera bientôt reboisé. Il ne restait déjà plus grand-chose, mais là c’est le bouquet. 

(1) Carrière au sens hippique du terme : terrain sur lequel évoluent les chevaux en extérieur, que ce soit pour leur entraînement quotidien ou en compétition de dressage … 
(2) Arrêté préfectoral autorisant Monsieur le maire de Fontainebleau à exploiter deux forages et à reboucher un puits existant sur le site de l'hippodrome du Grand Parquet, Préfecture de Seine-et-Marne. Recueil des actes administratifs n°41 bis du 08 octobre 2009 (Le recueil est consultable à l’accueil de la préfecture).
LE PUITS DU CORMIER
LE PUITS DU CORMIER
LE PUITS DU CORMIER

                        Le second puits m’a été indiqué au printemps 2009 par un membre de l’ONF familier des lieux et du puits par juste logique des choses. Tout comme les gens de l’hippodrome, avec le premier, il a toujours été convaincu que son puits à lui était bien celui du Cormier. Pas de problème, je lui ai dit, tant que je peux y jeter un œil et me faire une idée. Ce fut le cas et j’avoue que, là encore, même si les certitudes ne sont pas absolues, plusieurs arguments font légèrement pencher la balance en sa faveur. Déjà son aspect : enfermé à l’intérieur d’une butte de terre haute d’environ 2 m, il m’a tout l’air de ressembler au puits dessiné par castellan, si bien entendu, on ne tient pas compte des modifications et des quelques ajouts supplémentaires qui ont été réalisés depuis le 19ème. La tour ronde et voutée dont parle Castellan semble avoir été remanié aux environs de 1882. A cette date, inscrite sur le fronton de l’entrée, elle a sûrement été reconstruite et émerge à présent au sommet de la butte. Une entrée à été percée, donnant sur le puits, renforcé par des briques et un couloir extérieur en pierres maçonnées (quelques noms gravés). Au-dessous de l’entrée actuelle, à un peu plus d’1m se trouve une sorte de seuil en pierre, peut-être l’ancienne margelle ? Une croix est gravée dessus. Une pompe manuelle a été fixée à l’intérieur du puits et ne semble être utilisable que de la marche précédemment évoquée.
                                Ensuite sa localisation. Il est situé dans une plaine, au carrefour de plusieurs chemins, le long de la Route de Fenille, à l’extrême-est du Polygone militaire, entre les parcelles 125 et 134 et sur le climat dit du Puits du Cormier, à moins de 300 m de l’hippodrome. Il se trouve donc à l’extérieur des murs de celui-ci, détail important puisque Castellan n’a jamais mentionné sa situation à l’intérieur du Grand Parquet qui existait depuis 1753. Mais surtout, il existe une trace écrite de son emplacement dans un document, un plan plutôt, joint au procès-verbal de bornage de 1956 . Le puits y est indiqué à son actuel emplacement.

PLAN DU BORNAGE DU POLYGONE, AVEC EMPLACEMENT DU PUITS DU CORMIER
              Voilà, il ne vous reste plus à présent qu’à miser sur le bon cheval comme on dit, mais si vous voulez mon opinion, le second puits n’est pas loin de rafler la mise. Que tout ça ne nous empêche pas de nous intéresser à la suite. En dernière analyse, nous allons à présent parler de la tradition liée à ce puits. Le premier à l’évoquer est Castellan. Toujours le même. Il raconte avoir découvert la légende du puits en marge d’une édition du Trésor des Merveilles du Père Dan. Domet et Herbet pensent que ce filou de Castellan qui n’en était pas à sa première invention aurait bien été capable d’avoir composé de toute pièce cette histoire, car il n’en est fait mention nulle part ailleurs. En tous cas, si ce n’est pas une création du peintre, il s’agit là de la seule source connue du massif liée à la fécondité, ce qui n’est pas rien. La tradition prétend que l’eau de ce puits assurait la fertilité aux époux et la constance aux amants, une sorte de Viagra avant l’heure quoi. 
                « Les jeunes gens se fiançaient en jurant par le Cormier, et en buvant ensemble dans la même tasse l’eau de ce puits extraordinaire. Cet engagement était considéré comme irrévocable. Une fois mariés, si les nouveaux époux n’avaient pas d’enfant au bout d’un an et un jour, il suffisait, pour faire cesser cette stérilité, d’accomplir les formalités suivantes : après avoir passé les premières heures de la nuit en prière, le jeune couple, sans avoir parlé à qui que ce fut de son dessein, partait de chez lui avant une heure du matin, et se rendait au puits par la ligne la plus directe, marchant du même pied, les bras entrelacés, la femme portant sur sa tête une cruche vide, le mari, une corde de crin. Ils prenaient le chemin le plus direct et quoique le moins praticable, et traversaient les cantons de la forêt désignés sous le nom de la Fosse au Râteau, la Tête à l’Ane, laissaient à droite le mont Fessas et le mont Aigu, traversaient la chaîne de rochers vers l’endroit où s’étendent maintenant les sinueux murs d’enceinte de la Faisanderie. Arrivés au sommet du coteau où il existait un rocher creusé en forme de niche avec un banc où ne pouvait s’asseoir qu’une seule personne, le couple aventureux reposait, en ayant bien soin de ne pas s’endormir pour être prêt à terminer sa tâche avant l’aurore. Ils n’avaient plus ensuite qu’à descendre jusqu’au fond de la vallée. Arrivé au but de sa course, le mari tirait de l’eau, à l’aide du vase attaché à la corde de crin ; la femme, replaçant celui-ci sur sa tête, allait seule vider le vase dans une auge située à une assez grande distance, et qui devait être remplie avant que les premiers rayons du soleil levant n’eussent frappé une pierre blanche qui formait le point culminant du Mont-Aigu. Le moyen était infaillible, disait-on, et quand par hasard, il ne réussissait pas, ce ne pouvait être que par l’omission de l’une de ces formalités, assez compliquées, que nous venons de décrire »(1).
LE "BANC" ? DU CORMIER (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)
               
                           Si ce qu’a rapporté Castellan est vrai, j’aimerais alors signaler une récente découverte effectuée lors de ma prospection des lieux. A 350 m au nord-est du puits, dans le terrain de golf, se trouve une butte dégagée aménagée pour les joueurs. On peut apercevoir à son sommet un rocher rappelant fortement la « roche creusée en forme de niche ». Bien qu’il ne soit pas excavé, il évoque, par un assemblage de quatre blocs, une sorte d’alcôve dans laquelle une pierre couchée sur le sol pourrait faire office de banc. C’est le seul endroit comparable à la description de l’artiste. Une autre butte, celle du mont du Rocher du Long Boyau avec son ancien poste d’observation, ne recèle aucune roche de cette sorte. Je commence à me demander si Domet et Herbet ne se seraient pas trompés sur son compte ?

(1) Antoine Laurent Castellan : Fontainebleau, Paris 1840, p 19-22.


             Un troisième puits, n’ayant aucun rapport direct avec les précédents, mérite également qu’on s’y attarde cinq minutes : il s’agit du Puits au Géant, monument qui aujourd’hui semble bel et bien avoir disparu et dont le nom cachait peut-être une tradition ou un récit légendaire. Le lieu-dit actuel se trouve à droite de la D 409, quand on vient de Fontainebleau et que l’on se rend vers Arbonne-la-Forêt. Il est à cheval sur les parcelles 745 et 737. On retrouve sa trace sur les différents plans de la forêt : sur celui de Nicolas de Fer de 1697, il est indiqué Puits au Guien et son emplacement est signalé par un rond noir, c’est le seul d’ailleurs avec celui de la Fosse aux loups à bénéficier de ce traitement de faveur puisque celui du Cormier, de la Lieue et du Puits Fondu, ne sont que rapportés sans aucune représentation sur le terrain. Cela signifie certainement que ce réservoir devait avoir une certaine importance. Le Plan d’André Desquinemare de 1727 mentionne un Puits au Gean sans situation. Celui de Louis Denis de 1764 un Puis au Gean. En 1778, Guillaume-Nicolas Delahaye le mentionne sous le nom de Puit au Géant. Félix Herbet rapporte que sur les plans de Matis (1709), Chaufourier (1725) il est mentionné respectivement Puits Augien et Puy au Gien. Côté auteurs, l’abbé Guilbert parle de huit grands puits, pour la plupart comblés vers 1701 , mais ne cite pas le Puits au Géant. La question qui se pose maintenant est celle-ci : aux vues des différences orthographiques relevées, doit-on penser que le nom initial de ce puits n’était pas géant ? Toutefois, malgré ses distinctions, il est facile de remarquer qu’il existe dans tout ça une constante phonétique. Gien ou Guien peut très bien se traduire phonétiquement par « ji an » ou « gui an » et, avouons-le, nous ne sommes pas loin du mot Géant. N’oublions pas que les relevés de l’époque étaient faits oralement et que les cartographes ne faisaient que retranscrire ce qu’ils entendaient. Simultanément, Augien ou Auguien pourraient correspondre à un nom de famille, ce qui n’est pas à écarter, même si cela est peu probable, car les autres puits : celui de la Croix de Vaucervelles, de La Lieue, d’Ury, de La Tranchée, du Puits Fondu, de la Fosse aux Loups, ne portent pas de dénominations de ce type, mais plutôt celles de lieux-dits. A voir, donc.


Mentions de dernière minute
Passons en présent en revue plusieurs légendes historiques ou carrément inventées au cours du XIXe siècle. J’ai hésité à les rapporter, mais elles apparaissent à chaque fois qu’on touche au légendaire bellifontain, et ça me donne l’impression de passer à côté de quelque chose. On ne sait jamais trop comment naît ce genre d’histoires, et finalement je n’ai aucune raison de ne pas en parler. Henri Froment les a étudiées avec précision. Si vous avez cinq minutes, consultez les n° 16,17 et 19 du Bulletin des Amis de Bourron-Marlotte. Y’a pas plus complet.

On doit la légende de Némorosa, reine des bois à Alexis Durand, menuisier, poète et historien local, né et mort à Fontainebleau (1795-1849) :
« Vers 1346, le terrible Prince Noir assiégea Samois. Le chevalier René de Fontainebleau décida d’emmener sa compagne, la belle Délia, dans une grotte cachée dans la forêt afin de la soustraire au danger. Les combats terminés, René retourna la chercher mais il la trouva inanimée. Délia venait d’être piquée par une vipère. Il l’enterra et le chagrin l’envahit ! Chaque nuit, il passait des heures à pleurer sur le rocher, jusqu’au soir où une jolie jeune fille couronnée de fleurs et vêtue de feuillage lui apparut : son nom était Némorosa, la reine des bois, et elle venait pour le consoler. René finit par succomber aux charmes de l’apparition. On raconte que par une belle journée d’automne René et Némorosa quittèrent le sol à tout jamais, afin de célébrer leur union quelque part dans le ciel  là où le bonheur est éternel »(1).

La Chaise à Marie, est un rocher creux, situé Route de la Fontaine, parcelle 266. Son histoire a été  inventée par Castellan, mise en vers par Ernest Lionnet en 1879, et rapportée ici par Jean Loiseau :
« En 1705 vivait dans un château situé aux bords de l’Ebre la famille Tudela, composée du père, de sa fille Marie et d’une vieille parente. Pendant la Guerre de Succession d’Espagne, cette famille donna asile à un officier français grièvement blessé. Les deux jeunes gens ne purent se voir longtemps sans s’aimer, et quand la blessure de l’officier fut guérie, il partit en jurant à Marie un éternel amour. Peu après, le château fut détruit ;  la jeune fille devenue orpheline vint à Toulouse, où elle se fit religieuse de Saint-Vincent-de-Paul, et de là fut envoyée à Fontainebleau, à l’hospice du Mont Pierreux. Un soir on transporta à l’hôpital un officier blessé par des brigands. C’était l’ancien hôte des bords de l’Ebre, celui dont Marie avait pieusement conservé le souvenir au fond de son cœur. Moins heureuse cette fois,  elle ne put l’arracher à la mort et sa raison sombra dans une folie douce et inoffensive. La pauvre Marie venait chaque jour s’agenouiller dans la grotte du Mont-Ussy qui prit le nom de Confessionnal de la Sœur Marie ou Chaise-Marie »(2)

L’oratoire de Notre-Dame de Bon-Secours édifié en 1690, détruit en 1793 et reconstruit en 1821, témoigne d’un miracle qui aurait eu lieu en automne 1661 :
« Vers la fin novembre de cette même année, un certain sieur Dauberon, capitaine au régiment du prince de Condé, parcourait à cheval la route de Melun, lorsque sa monture prit peur et s’emballa. Il fut renversé au niveau de la Croix d’Augas et son cheval le traîna, prisonnier de son étrier, sur une bonne longueur de route. Bien décidé à sauver sa peau, il se mit alors à lancer une fervente prière à la Sainte Vierge, qui fit stopper net l’animal »(3).
En signe de reconnaissance, le curé Antoine Durand fixa en 1662 un ex-voto de la Vierge sur un arbre, proche du lieu de l’événement. Ce n’est que lorsque l’arbre s’effondra qu’on décida de bâtir l’oratoire.  

La légende du Mont Enflammé est tirée du Fruit défendu de Gabrielle Anne Cisterne de Courtiras Saint-Mars. Je ne l’ai découverte nulle part ailleurs. J’ignore donc s’il s’agit d’une pure invention de sa part ou d’un récit traditionnel rapporté. Par précaution je préfère l’intégrer à ce chapitre. Une ou deux choses encore : le Mont Enflammé est situé entre le Rocher de la Salamandre et le Rocher de la Combe, à cheval sur les parcelles 143 et 144.
«   Dans une certaine partie de la forêt est un rocher aride qui semble avoir été dévasté par on ne sait quelle malédiction. Autrefois des chênes verts, touffus et druidiques l'ombrageaient entièrement. Des bouleaux légers et gracieux se faisait jour à travers les parois verdâtres et moussues, servaient de retraite aux braconniers et aux malfaiteurs, et lorsque la nuit arrivait, nul n'osait approcher de ce lieu redouté : un grand veneur, prétendait-on, ayant voulu prendre trop de soin du gibier royal, et pourchasser de trop près les larrons, disparut tout à coup sans qu'on sût jamais ce qu'il était devenu ; les recherches furent inutiles, et depuis on a souvent vu son ombre se promenant la nuit dans la forêt....
Et vers le même temps, une pauvre boisitine déplorait la perte de sa fille unique et faisait retentir la forêt de ses cris :
— Où es-tu ? Ma fille, ma bien-aimée Gilette ! Qui donc a pu te ravir à mon amour? Hélas! Les louves dont je n'ai point emporté les petits ne sont pas venues me prendre mon enfant? Oh ! Rendez-le-moi, qui que vous soyez, puissances célestes ou infernales ; et je fais un vœu, dit-elle en se jetant à genoux.
Aussitôt une vapeur blanchâtre s'éleva devant elle, se condensa et devint brillante comme un feu follet. Cette lumière se mit à voltiger au-dessus de sa tête, et poussée probablement par une irrésistible puissance, elle la suivit pendant un long temps, sans songer à sa fatigue ni à ses pieds que déchiraient les rochers arides ; enfin la lumière s'arrêta, et la femme s'assit non loin de cette caverne ; elle entendit les paroles suivantes :
 — Seigneur chevalier, je vous en conjure, ayez pitié de moi ! Je ne suis qu'une pauvre fille, croyez-moi, je ne suis pas digne de vous.
 — Vrai Dieu ! Ma mie, je suis las de tes raisonnements, et ma patience, qui s'épuise à t'écouter depuis un si long temps, irrite encore mon amour; soumets-toi donc enfin, car j'ai résolu que cette nuit, cette nuit même, tu seras à moi.
 — Oh ! Noble seigneur, reprit la voix en sanglotant ; ayez pitié de moi ! De ma mère et de sa douleur.
 — C'est ma fille, c'est Gilette, s'écria la pauvre femme. Et elle voulut courir; mais elle vit surgir à ses côtés une longue figure rouge qui brillait sous la lune comme un rameau de corail qui lui posa le doigt sur les lèvres en lui disant :
  — Écoute.
 — Mais, messire Satan (si vous l'êtes), rendez-moi ma fille et je vous donne tout ce que vous voudrez.
 — Patience, femme, encore quelques instants, et tu seras satisfaite ; ni toi ni ta fille n'êtes d'assez hautes proies pour moi. Silence donc, reprit-il en serrant le bras de la vieille qui sentit comme un fer rouge le lui brûler, et cette marque resta, dit-on, ineffaçable.
— Que m'importe ta mère ? reprit le chevalier; que m'importe sa douleur ! Depuis un mois que je te tiens enfermée dans cette grotte, quoi ! Je n'ai pu vaincre ta résistance ni séduire ta vanité ! Quoi ! Mon amour n'a pu faire naître le tien ? Eh bien ! Cet amour méconnu se changera en rage, et dussé-je briser tes membres gracieux et délicats, tu seras à moi, te dis je, à l'instant, à l'instant même.
 Et la jeune fille, au milieu d'une lutte qui paraissait horrible, murmura ces paroles entrecoupées : Puisse la sainte Vierge que j'implore me venir en aide et le diable te brûler vif, chevalier cruel. Et puissent tes prières n'être jamais exaucées, toi qui es inexorable pour moi !
 — Le diable ! reprit le chevalier avec un rire effroyable. Le diable est mon ami intime, et je ne le crains pas plus que tes imprécations.
 A peine avait-il prononcé ces dernières paroles qu'on entendit en effet un rire infernal, puis un bruit sourd comme le précurseur d'une éruption de volcan ; bientôt la grotte éclata avec un craquement épouvantable et des laves bouillantes s'échappèrent par torrents de ce nouveau cratère, et on vit longtemps une traînée rouge sillonner le ciel comme d'un ruban de feu, puis tout disparut.
Le lendemain, Gilette et sa mère étaient dans leur cabane; il ne leur restait de tout ceci que comme un cauchemar qui leur aurait brûlé la mémoire. Le lendemain aussi, des bûcherons retournant à leur ouvrage accoutumé, ne se reconnurent plus, dit-on, dans les mêmes parages. Ils devisèrent entre eux sur la disparition de cette grotte où étaient leurs outils.
 — Mais dis donc, Jacques, est-ce que la Salamandre dont cette chaîne de rochers porte le nom, aurait passé par là cette nuit et brûlé notre roche?
 — Ma foi ! M’est avis qu'il y a eu du surnaturel, Jehan. Tiens ces morceaux de rochers brûlent comme si c'était le lit du diable.
Et les bûcherons qui trouvèrent une pierre rouge ayant la forme d'un cœur, l'emportèrent chez eux en disant à leurs femmes qu'il était le cœur d'une dame que le diable avait brûlé cette nuit dans la forêt, ils baptisèrent ce rocher : le Mont-Enflammé, et le nom lui resta. »(4)

Paul Domet a rapporté dans son ouvrage sur la forêt de Fontainebleau qu’un combat entre le gentilhomme Gérard de Nevers et un dragon aurait eu lieu dans la forêt au cours du XVème siècle. Le problème c’est que le texte original n’indique en aucun cas qu’il s’agit de la forêt de Fontainebleau. Les termes exacts sont : « Gérard et Euriant, ensembles, puis ont tant errés se me semble, qu’ils vinrent en une forêt (…) »(5). Plus important, le Roman de la Violette comme son nom l’indique, n’est rien d’autre qu’une œuvre de fiction et non un fait légendaire rapporté. Ce texte, en vers de huit syllabes et inspiré des romans de chevalerie, fut composé par Gibert Montreuil vers 1225. Domet à sûrement cru bien faire en nous en parlant. Il avait tort.

Concluons avec le prince de Condé. Cette fois-ci la légende le concerne directement. Les faits ont été rapportés par Madame de Sévigné dans une lettre du 13 décembre 1686 :
« On raconte qu’au mois d’octobre 1686 un gentilhomme nommé Vervillon, approchant du château de Fontainebleau, aperçu à la fenêtre du cabinet des armes un personnage fantomatique. Ce spectre ressemblait trait pour trait au prince de Condé. Chacun y voyant un signe de la fatalité, on craignit alors pour la vie du prince. Ce dernier s’en moqua ouvertement, mais ne put quand même échapper à son destin qui le rattrapa vite fait bien fait. Comme prévu, il mourut un mois plus tard »(6).      

(1) Indicateur Dénecourt de Fontainebleau, 1875.
(2) Jean Loiseau : Le Massif de Fontainebleau, 2 tomes, éd. Vigot Frères, 1970, p 204-205.
(3) Librement inspiré de  Jean Loiseau : Le Massif de Fontainebleau, 2 tomes, éd. Vigot Frères, 1970, p 203.
(4) Gabrielle Anne Cisterne de Courtiras Saint-Mars : Le fruit défendu, Michel Lévy frères, 1858 p 118 à 121.
(5) Gibert de Montreuil Le Roman de la Violette ou de Gérard de Nevers, publié par Francisque Michel, Paris, 1834,  p 55
(6) René Benoist de Saint-Ange : « Le fantôme du château de Fontainebleau », Revue de Moret, n°141, 1996, p 71.






   Trésors mouillés pour mares asséchées

        Je tiens le témoignage qui va suivre de Mr Georges P, qui le tenait lui-même d’un certain Paul P de Thomery. La mare à laquelle il est fait allusion ici est la plus grande des deux mares dites : de By, du nom d’un hameau à présent rattaché au village de Thomery. Cette mare ancienne, presque complètement asséchée aujourd’hui, conserve encore un peu d’eau en son centre, et sert de souille aux sangliers qui semblent apprécier l’endroit en dépit de la fréquentation humaine des lieux. Elle est située au point : X : 0632.363/ Y : 1077.226, parcelle 111, ou 402 pour la forêt domaniale, lieu-dit actuel : les Mares de By.

 
LA MARE DE LA FOSSELLE (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)
« En bordure de la forêt de Fontainebleau, le long du Chemin des mares de By, se trouve deux mares. La première, qu’on appelait la Vieille Mare ou la Mare de la Fosselle, était l’objet de crainte et de superstitions. Jusque vers le début du vingtième siècle, certains habitants de Thomery  faisaient le signe de croix quand on leur parlait de cet endroit, qu’ils croyaient maudit et dangereux et qu’ils évitaient à tout prix. Ils affirmaient également qu'un trésor y avait été enseveli. Un Culard(1), grand comme un homme et qui avait l’apparence d’une haute flamme rouge, en était le gardien. La nuit, il se jetait sur ceux qui s’approchaient d’un peu trop près de la mare et les précipitaient dans l’eau pour les noyer.

On racontait aussi que ce trésor, qui contenaient de l’or et des diamants était enfermé dans un coffre. Lorsque l’eau était au plus bas, il était alors possible de le voir au fond de la mare. On pouvait même tenter de s’en emparer. Mais ce n’était pas si simple. Lorsqu’on commençait à le sortir de l’eau, de petits Culards apparaissaient et saisissaient le coffre pour le tirer vers eux jusqu'à ce que le voleur finisse par céder. Pour s’emparer de ce coffre, on devait réciter, à trois reprises, une sorte de formule magique. Si on était interrompu ou que l’on prononçait mal ladite formule, la tentative ratait et on ne pouvait pas recommencer avant neuf ans ».


(1) Un feu-Follet en patois Briard.



La Borne-tombeau du seigneur inconnu

 Parmi le bornage de la forêt domaniale de Fontainebleau se trouve un bloc de grès quelque peu différent des autres. Il porte le nombre 48 et fait partie de cette enfilade de bornes plantées à la limite nord-ouest de la commune de Veneux les sablons. A l’heure actuelle, il est  légèrement incliné vers la droite. Ses mensurations, au plus élevé, sont d’1m par 40cm. Ses coordonnées : X : 0632.685 / Y : 1076.134. Une croix est gravée à la base de la face numérotée avec un sens de la discrétion très poussé puisque la gravure ne mesure pas moins de trois centimètres. Outre ce symbole, ce bloc, aux allures de stèle funéraire, doit aussi sa spécificité à une courte légende, plutôt une rumeur, qui fait état d’un trésor enfoui. 
 
BORNE N°48 (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)


Ce n’est pas terminé. Son aspect penché est aussi à prendre en compte. Il relèverait de l’exploit de notre rentier amateur de trésors qui fouilla l’endroit avec un peu trop d’enthousiasme, et le monument, d’un peu trop près. Son neveu qui soupçonnait son oncle d’être le responsable de l’état actuel du monolithe m’a fournit ce renseignement, sans preuve formelle, toutefois. À l’origine de ce drame, une note de Pierre V(1) prétend « qu’un seigneur des temps anciens aurait été enterré au pied de cette borne avec toutes ses richesses ». Si on en croit le manuscrit de ce dernier, il aurait découvert quelques pièces datant du second empire. Après constat, on est bien loin du magot tant attendu. Mais ça, il aurait pu le prévoir.

N’importe qui aurait pu le prévoir, en fait.

GRAVURE DE CROIX, BORNE N°48 (FORÊT DE FONTAINEBLEAU)





(1) Cahier Pierre V, date du 29/04/1958.


La malédiction de la momie
                 Quittons maintenant la forêt pour la ville de Fontainebleau. Apparue dans les années 40, cette histoire est autant une histoire de malédiction qu’une histoire de fantôme.
LA MOMIE DE FONTAINEBLEAU (MUSEE NAPOLEONIEN)

Vers l’an 200, 210 ou 212 avant notre ère, mourut à seize ans une jeune danseuse pleine de charme, favorite de Ptolémée IV. On l’embauma et deux mille ans plus tard, aux environs de 1892, alors que le trafic de momies battait son plein, sa dépouille fut ramenée à Paris. Elle termina son voyage chez l’écrivain André Rouveyre, copain de Paul Léautaud, qui avait alors à Barbizon une maison nommée le Canard Sauvage. L’habitué du Mercure de France relate l’anecdote dans son Journal Littéraire : « Il y avait à la cave une vraie momie, achetée autrefois par Rouveyre au peintre de panoramas Poilpot, et reléguée là par lui. Une femme dans les réfugiés (c’était pendant la guerre), déclara qu’elle ne logerait jamais dans une maison où il y avait une momie, que ces morts embaumés jettent des mauvais sorts, que cela est connu, etc. Il fallut donc l’enlever. Le maire vint en personne, accompagné du garde champêtre. On dressa un procès-verbal de l’enlèvement, signé par deux témoins, et la momie fut portée au cimetière. On avait d’abord projeté de la mettre dans le caveau provisoire. Finalement on la remisa tout bonnement dans la cahute du balayage, où elle est toujours »(1). Elle fut récupérée plus tard et confiée aux bons soins de la mairie. C’est à partir de là que commencèrent à se manifester d’étranges apparitions. En présence de la dépouille, plusieurs spectateurs observèrent de fascinantes images spectrales représentant une danseuse égyptienne à la splendide beauté. D’autres aperçurent le fantôme de cette même femme errer dans le bâtiment. On raconte qu’un des témoins en perdit même la raison. La mairie finit par s’en débarrasser et la refila au médecin-chef de l’hôpital militaire de Fontainebleau qui la transporta illico chez lui. L’influence pernicieuse de l’antiquité ne tarda pas à semer la zizanie dans son couple. Il renonça donc à la conserver et en fit don au Musée Napoléonien de la ville. Mais là encore, l’obscure momie devint encombrante et mit le public et le personnel mal à l’aise. Les odeurs épouvantables qui s'échappaient de ses bandelettes incommodaient les gens. Au cours des mois qui suivirent, « on lui prêta aussi des apparitions de nature à affoler le mortel le plus averti, des malheurs, des suicides, des drames de toutes  sortes... Ses apparitions furent même responsables de plusieurs évanouissements. Très vite, on l’accusa de tous les maux de la terre ». En désespoir de cause, on décida de l’enfermer dans le grenier de la bibliothèque de Fontainebleau. Elle y resta pendant plus de vingt ans, hors de vue du public, mais son emprise était telle qu’elle continuait de déranger les agents qui y travaillaient. Finalement, en 1998, elle retourna au Musée Napoléonien, qui entre-temps avait déménagé au 88 rue Saint-Honoré. Elle n'y est plus depuis le mois de Septembre 2013, date à laquelle elle est officiellement partie pour le musée local de Châteaudun. Ça c’est pour la version anecdotique. L’officielle l’est beaucoup moins. La responsable du Fonds Local de la rue de l’Arbre Sec a très bien connue cette momie du temps où elle était à la bibliothèque. Elle avait même participée à des rétrospectives où la dépouille était exposée. Pour elle, ainsi que pour la majorité des employés, la momie n’avait rien de maléfique, ne sentait pas plus mauvais qu’une autre et elle regrettait de n’avoir jamais eue l’occasion de voir son fantôme. Bref, elle n’avait jamais entendu parler de toutes ces histoires. La principale du Musée Napoléonien tient à peu près le même discours. Voilà qui fout un coup à notre belle légende. Il ne vous reste plus d’autre choix que d’aller lui rendre visite. Il n’y aura aucun problème pour ça. Quant aux effets maléfiques du cadavre, ce sera à vous d’en déterminer l’authenticité.

(1) Paul Léautaud : Journal littéraire, tome 3, Mercure de France, 1986, p 1207.
 

Le Vivier : histoire d’un mariage raté
Dans le Parc du château de Fontainebleau, à un peu plus de cent mètres au sud-est de l’entrée s’ouvrant sur la rue Adam Salomon, se trouve un bassin(1) maçonné et rectangulaire de 50m de long sur 15m de largeur environ. Quelques grosses carpes y nagent impassiblement et des bouquets de nénuphars parsèment sa surface. Ce réservoir, alimenté par l’aqueduc souterrain François Ier recevant à son tour les eaux des sources du Mont Pierreux(2), est tout proche de la Ferme du Parc, plus communément appelée la Maison du Jardinier. Elle aurait été bâtie en 1640(3), sous louis XIII. La construction du bassin lui est peut-être antérieure et date probablement d’Henri IV, époque de l’aménagement du Parc, mais n’est certainement pas plus ancienne. Ce dernier, appelé le Vivier, est une sorte de retenue où étaient conservés les poissons vivants jusqu'au moment de leur consommation. On lui connait également un autre nom, relevant cette fois-ci du légendaire: la Mare des Mariés. Malgré les apparences, cet endroit n’est pas aussi idyllique qu’on pourrait le croire. C’est même tout le contraire, en fait.
« La légende raconte qu’à une époque ancienne, ce bassin était beaucoup plus profond qu’aujourd’hui et qu’un couple de jeunes mariés s’y seraient noyés l’après-midi de leurs noces. Le drame eu lieu au moins de Novembre et depuis, à la date de ce jour fatidique, les époux réapparaissent sous forme de deux flammèches blanches et glissent sur l’onde glacée. L’histoire dit qu’il ne faut pas s’en approcher car les ardents, qui l’ont plutôt mauvaise, entrainent à leur suite les passants imprudents pour les noyer »(4).    
LE VIVIER, OU LA MARE DES MARIES (FONTAINEBLEAU) 

(1)Coordonnées Lambert : X : 0627,635 ; Y : 1078,693.
(2) Thierry Boisseau : Le système hydraulique du domaine de Fontainebleau, bulletin Société des Amis et Mécènes du Château de Fontainebleau, Avril/mai/Juin 2010, p 3.
(3) Emile Molinier : Comptes des bâtiments du palais de Fontainebleau pour les années 1639-1642, Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, Tome 12, 1885, p 279-358.
(4) Tradition orale,  Madame Liliane C.


Roche prophétique, modèle standard
La tradition suivante nous conduit maintenant à Avon/Samoreau. De même que les sources, les fontaines ou les eaux courantes, certaines pierres habituellement immergées sous les eaux font l’objet de croyances annonciatrices de calamités de toutes sortes. Quelques-unes sont frappées de citations qui signalent et renforcent leur funeste implication dès lors qu’elles apparaissent à la vue de tous, à l’occasion de forte sécheresse par exemple. Notre variante locale était la Roche d’Arquebise, plantée au sommet d’une barre rocheuse qui traversait la Seine face à l’Île de Saint-Aubin. On pouvait lire alors dans Le Monde Illustré du 16 Juillet 1870 :
« Près de Samoreau, dans les années de sécheresse prolongée comme celle-ci, les eaux basses mettent à découvert la fameuse Roche d’Arcquebise, bien connue à la ronde. Je crois même que ce rocher aquatique a sa légende et que cette légende est assez lugubrement fantaisiste. Il y a cent quatre ans qu’elle n’était apparue aux yeux des riverains. C’est assez dire que ses apparitions sont rares. Sa dernière émersion coïncide avec le tremblement de terre de Lisbonne et le commencement de la Guerre de sept ans, en 1756. Elle rappelle, comme on voit d’assez tristes souvenirsMais son apparition n’est pas ce qu’il y a de plus curieux. La Roche d’Arcquebise parle, c'est-à-dire qu’elle porte une inscription assez peu rassurante, tracée par une main qui peut bien n’être que celle d’un prophète. On lit, en effet, sur sa surface polie par le courant : « Ceux qui m’ont vu ont pleuré ; ceux qui me voient pleureront ». « Heureusement que nous ne croyons plus au Nostradamus », concluait le chroniqueur ignorant comme l’ajoutait  Sébillot(1) qu’elle était toujours visible peu de temps avant que ne se déclenche la guerre franco-allemande, le 19 juillet 1870. Comme quoi le hasard (?) fait bien les choses.
CARTE MANUSCRITE DE NAVIGATION
Cette roche n’existe plus aujourd’hui. Elle était en quelque sorte le point culminant d’une barre rocheuse immergée nommée le Gué de Saint-Aubin et sur laquelle il était possible de traverser pour rejoindre la rive opposée et l’île du même nom. Ce gué naturel du type « Biais » partait de la petite plage du Tourniquet située au lieu-dit Saint-Aubin, en limite de propriété du Château de la Rivière, côté Avon, parcelle n°4. En période de sécheresse, on pouvait soi-disant franchir aisément le fleuve, sans avoir de l’eau plus haut que les genoux. Sa profondeur n’excédait pas 78 cm(2). Néanmoins, ce passage bourré d’écueils affleurant pouvait s’avérer fatal pour les bateaux. Ces roches sont d’ailleurs mentionnées sur une carte manuscrite de navigation des années 60(3). On raconte également qu’un drakkar remontant la Seine se serait fracassé sur notre roche menaçante et que dans les années 1970 une péniche se serait échouée au même endroit. Ce gué tout comme une partie de l’Île de Saint-Aubin auraient été sérieusement endommagé à partir du premier quart du 19ème siècle, lors des travaux de canalisation de la Seine réalisés en vue d’améliorer les conditions de navigation. Les travaux se poursuivirent jusque vers la fin du vingtième siècle, avec les modifications du chenal, dues au projet de mise au grand gabarit de navigation ou encore l’installation de barrages et d’écluses. C’est sûrement au moment des derniers travaux d’aménagement réalisés dans les années 1970 où il faudra parfois creuser le lit du fleuve par dragage pour donner du mouillage, consolider les berges, surélever les rives et éliminer des obstacles que la barre rocheuse aurait été définitivement détruite ainsi que la Roche d’Arquebise par la même occasion et d’autres du même genre comme celle du Port Montain de Saint-Mammès. Une de plus.
                                                                                                              
(1) Paul Sébillot les eaux douces, Imago, 1983, p163.
(2) P. Verdier de Pennery : Les gués de la Seine et de l'Yonne de Nogent-sur-Seine et d'Auxerre à Paris, Bulletin de la Société préhistorique française, Année 1959, Volume 56, Numéro 11, p 745.
(3) Archives personnelles







De l’art de faire sa lessive dans plusieurs mares à la fois

Il n’y a plus vraiment de mare dans le Bois Gasseau, de Samoreau, mais la vaste dépression asséchée, près du Chemin de la Vieille Route, suggère qu’il y en a eue une en tout cas. Son emplacement est au point X : 0631, 565/Y : 1080, 908. Son diamètre n’excède pas 10m et sa profondeur à moins d’un mètre. Un arbre s’est abattu à l’intérieur et forme comme un pont entre les deux bords. Lors de ma visite sur les lieux à la fin du Printemps, le fond de la cuvette était très humide, boueux et je ne pouvais y marcher sans m’y enfoncer de quelques bons centimètres. J’imagine, qu’en cas de fortes pluies, il doit y avoir de l’eau, peut-être pas beaucoup, mais suffisamment pour que le sol reste imbibé tout au long de l’année. Au nord, une petite tranchée qui draine à coup sûr le trop plein de la mare, se jette dans un fossé longeant la Voie de la Liberté.
 LA MARE DU BOIS GASSEAU (SAMOREAU)


Une Dame Blanche, encore une, fréquentait quotidiennement la Mare du Bois Gasseau. C’est ce que la tradition laissait entendre autrefois. Cette apparition nocturne ne nous est connue que par les quelques mots de Georges Guillory : « A l’époque où l’on croyait aux revenants, on prétendait qu’une dame blanche revenait la nuit laver son linge à la mare du Bois Gasseau »(1). Cette légende m’a été confirmée par une habitante de Vulaines-sur-Seine qui en a profité pour préciser qu’elle battait son linge ou l’entassait, une fois son boulot terminé, sur un grès tout proche. Il y a effectivement, un bloc à demi enterré à quelques pas de la mare, mais mon informatrice n’a pas su me dire s’il s’agissait bien de celui-ci. Toujours d’après elle, la Dame Blanche de La Mare du Bois Gasseau, ne se contentait pas de faire sa lessive à cet endroit. On pouvait également l’apercevoir près des autres points d’eau du plateau, comme à la Mare de Madame D’Avignon, la Mare de la Garde de Dieu et la Mare Périlleuse. Elle aurait aussi procédé à plusieurs nettoyages à la Mare aux Canettes, la Mare aux Renault et la Mare aux Richards sur la commune d’Héricy. Comme on le voit, les lieux hantés par notre lavandière de nuit ne manquent pas et avoisinent, à moins de 2 km de là, celui de la Fontaine au Diable où je le rappelle, une auto-stoppeuse fantôme s’est manifestée il y a 25 ans. La toponymie n’y est pourtant pas évocatrice. L’histoire non plus. Dommage. Pourtant ce périple à travers la campagne avait de quoi susciter l’intérêt. Marquait-il un itinéraire précis ? Avait-il une fonction particulière ? Je n’en ai jamais douté. Toutefois, il est sûrement un peu tard pour en tirer quoique ce soit.   

(1)Georges Guillory : Vulaines, Samoreau, Héricy,  Amattéis, 1993, p 38.

PIERRE DE LA DAME BLANCHE (MARE DU BOIS GASSEAU (SAMOREAU))


 


Trésors mouillés pour mares asséchées

       Je tiens le témoignage qui va suivre de Mr Georges P, qui les tenait lui-même d’un certain Paul P de Thomery. La mare signalée par notre informateur se trouve sur la commune de Samoreau, 60 m à l’est du carrefour formé par le chemin rural d’Héricy à Champagne-sur-Seine et la Départementale 210. Lieu-dit : Le Bois des Saints-Pères, parcelle 12, coordonnées : X : 0633.175/Y : 1080.141. Ce point d’eau, qui ressemble à un grand cône renversé de plus de 4m de profondeur est aujourd’hui complètement asséché. Sur le cadastre de 1833, il porte le nom de Mare au Sel et c’est également sous celui-ci que le mentionne Cosette Khndzorian-Iablokoff dans son étude mythologique du canton du Chatelet-en-Brie. Pour elle, cette dénomination désignait peut-être du sel conjuratoire(1). Pour le coup, et au vu de ce que rapporte la légende, j’imagine qu’elle n’était peut-être pas loin d’une certaine vérité.
LA MARE AU SEL (SAMOREAU)
 

« Une autre mare contient également un trésor. Il s’agit de la mare située à l’angle de la route allant à la Ferme des Brûlis et de la départementale 210. Elle est située sur la commune de Samoreau. On l’appelle La Mare du Bois de Samoreau ou Mare des Saints Pères. Pendant la révolution, le curé aurait jeté dans cette mare tous les objets précieux qui venaient de l’église Saint-Pierre de Samoreau. Il y avait là, dit-on, un véritable trésor, notamment un grand crucifix en or pur et les statuettes des douze apôtres en argent massif. Le Diable en aurait prit possession et défendait jalousement ces richesses. Un jour, un habitant du village, chercha à récupérer ces fameux objets. À l’aide d’une perche, il se mit à sonder le fond de la mare. Tout à coup, l’eau se mit à bouillonner et quelque chose tira violemment sur sa perche. Il crut aussitôt que c’était le Diable qui s’en était emparée pour le faire tomber dans l’eau. De peur, il lâcha sa perche et décampa sans demander son reste. Pendant la sécheresse de 1921 la mare s’est retrouvée à sec et on en profita pour la curer. Mais on ne trouva rien au fond. Le trésor avait disparut. Le Diable était sûrement partit avec ».     






(1) Cosette Khndzorian-Iablokoff : Le canton du Chatelet-en-Brie et ses environs immédiats, BSMF, n°XCI, Octobre/Décembre 1973, p 119.



Trésor et souterrain : le cocktail qui tue
Il existait autrefois à Avon, un hameau nommé Saint-Aubin. Il se situait à droite du Chemin d’Avon à la Fontaine Saint-Aubin, et s’étendait jusqu’à l’ancien bornage de la forêt de Fontainebleau avec pour limite ouest, la Route de Bourgogne côté Seine, ce qui correspond en gros aujourd’hui à la portion de terrain comprise entre les parcelles 4, 8 et 84 de la Forêt de Fontainebleau. Les historiens qui se sont penchés sur son cas, supposent que ses origines sont sûrement très anciennes et qu’il était relativement important. Il était rattaché à la seigneurie du Montceau. « En 1533, Saint-Aubin avait une carrière de calcaire en pleine exploitation. Elle aurait fourni la pierre dure que l’on employait pour la construction du château de Fontainebleau. Il y avait aussi un four à chaux, des prés, des terres cultivées et un peu de vigne »(1). Il ne subsiste aujourd’hui plus rien de ce hameau. Depuis le XVIème, on sait également qu’il y avait un petit domaine et un manoir qui fut successivement restauré, puis modifié jusque dans les années 1800 par les différents propriétaires. Du domaine demeurent les soubassements ou les caves du manoir, le four à chaux, la fontaine Saint-Aubin, quelques restes de terrasses et de jardin, des éléments modernes (ponts et bancs en faux bois, canaux, fontaine « style fabrique ») et le mur délabré édifié par Philippe de Ségur englobant l’ensemble. Les lieux et les dernières ruines qui résistent encore, abandonnés à la forêt depuis un moment déjà, dégradés par les visiteurs, les tempêtes, et la pollution humaine sont en train de se faire digérer lentement, mais sûrement par la végétation. Ils sont tous actuellement à l’intérieur du Parc de la Rivière, normalement interdit au public.
Une légende de trésor enfoui et de souterrains était attachée à ce lieu.
« Saint-Aubin aurait été habité à l’époque de la révocation de l’édit de Nantes par un sieur de Bourbitou, protestant qui obligé de s’expatrier confia à son plus fidèle serviteur, nommé Toussaint, le soin de l’aider à cacher son trésor. Toussaint dut accomplir la besogne par une nuit très noire, après avoir été conduit les yeux bandés et avec force détours à travers les chemins et les champs du voisinage. Les Bourbitou étant morts à l’étranger, le trésor demeura enfoui. Toussaint disparut à son tour, sans avoir pu retrouver le lieu de la cachette ; il était cependant convaincu qu’on l’avait conduit dans un vaste souterrain qui, dit-on, existe aujourd’hui non loin des ruines du manoir de Saint-Aubin et qui s’étend sous la pièce de terre cultivée »(2)
On a cru jusque dans les années 1960-70, que le fantôme du serviteur hantait toujours les lieux et qu’on pouvait l’apercevoir la nuit rôder dans les ruines à la recherche du trésor. A cette époque, certains enfants évitaient de trainer dans les caves du manoir parce qu’on disait que c’était là que le revenant avait établit son repaire. 

(1) Camille Vayer : Avon, Fontainebleau, 1934, p 208.
(2) Théodore Lhuillier : Une légende de trésor à Thomery, Almanach de Seine-et-Marne, 1914, p149.
SOUBASSEMENTS ET CAVES DU MANOIR (AVON)
        Théodore Lhuillier qui a sérieusement enquêté sur le sujet pense que de véritables fouilles, exécutées durant le premier quart du 18ème siècle, seraient à l’origine de cette tradition. Elles auraient été conduites par un certain capitaine de Béringhen qui désirait rentrer en possession d’une part de l’héritage paternel qu’on affirmait enterré dans le jardin du château de la Rivière : « C’est donc là et non à Saint-Aubin, qu’eurent lieu le 25 Juin 1718, des recherches constatées par acte authentique et en présence de notaire. C’est Frédéric de Béringhen, propriétaire de l’époque, qui fit exécuter les fouilles après avoir appris que son père avait fait enfouir et enterrer dans le jardin de cette maison trois tonneaux d’argent par un homme de confiance, un nommé Jean Cardon, avec ordre de ne révéler ce dépôt qu’après sa mort. Les ouvriers qui ont travaillé de huit heures du matin à six heures du soir et fouillé à « l’angle de l’ancien parterre qui est au bas du degré de la grande allée, à l’endroit qui fait face à la maison et qui remonte à la terrasse » n’ont finalement rien découvert »(1).  
On m’a raconté également que sous l’ancienne demeure réservée aux gardiens du Parc de la Rivière existait un souterrain. Les anciens gardiens ont toujours affirmé avoir vu l’entrée de ce tunnel dans l’un des murs de la cave. D’après eux, celui-ci conduirait au château du même nom et s’étendrait donc sur un peu plus d’1 km 300. Pendant la seconde guerre mondiale, il aurait servit de cache d’armes aux allemands. Il restait soi-disant une bonne partie de cet arsenal autour des années 1980 et c’est par raison de précautions que les propriétaires auraient décidé de le boucher.
Un second souterrain partirait également de l’ancien four à chaux, squatté pendant des années par un SDF. Un escalier barré d’une poutre y conduirait. Là encore, malgré mes recherches, je n’ai rien trouvé de la sorte parmi les meubles délabrés de l’ancien occupant.
LA FONTAINE SAINT-AUBIN (AVON)

C’est sur l’actuelle propriété de la rivière, à la limite des communes de Thomery et d’Avon que se trouve la fontaine Saint-Aubin. La source située au bord de la seine, près du site gallo-romain du Bois-Gauthier, et indiquée comme telle par un panneau métallique, n’est pas la véritable fontaine. C’est juste une fantaisie des gens de l’ONF. L’authentique, aujourd’hui perdue dans la jungle du parc du château de la rivière, était autrefois surmontée d’une chapelle dédiée elle aussi à Saint-Aubin. Cette dernière n’existe plus depuis la fin du XIXème siècle. Mais les alentours de la source sont parsemés de morceaux de tuiles et de moellons, reliquats à peine visibles du bâtiment. Cet édifice existait déjà au XIVème siècle, puisque en 1504, le propriétaire de l’époque, un certain François de Roquelaure avait fait restaurer la chapelle(2). On suppose également que la source existait bien avant la construction de cet oratoire.  Lecotté rapporte que le « temple païen » du Bois-Gauthier était sans doute dédié à la nymphe de la source, que l’on aurait ensuite placée sous le vocable de saint Aubin(3). Il devait certainement parler du Fanum, ou si l’on préfère du temple, découvert sur le site archéologique du même nom, mais rien n’indique que c’était bien le cas. L’eau de la source semble fortement chargée en fer et en calcaire. A l’heure actuelle, la résurgence émerge dans une cuve rectangulaire barrée par des morceaux de grès et couverte d’une voute en pierres sèches. Ce réservoir tapissé d’une boue argileuse est toujours rempli et déborde régulièrement. Le trop plein ruisselle dans la pente jusqu’à la Seine en contrebas. Durant le XXème siècle, cet écoulement fut visiblement détourné pour alimenter une seconde fontaine de « style fabrique », sorte de mur de brique d’usine dont la buse de déversement est engorgée de calcaire et formant, à sa sortie, comme une petite stalagmite.
FONTAINE "STYLE FABRIQUE" (AVON)
BUSE ET STALAGMITE DE CALCAIRE
CADASTRE NAPOLÉONIEN INDIQUANT L'EMPLACEMENT DE LA CHAPELLE ET DE LA FONTAINE SAINT-AUBIN

 Voici ce que Camille Vayer, curé d’Avon nous dit à propos de cette fontaine : « Au bord de la Seine, entre le Bois Gauthier et le Château de la Rivière, il y avait autrefois une chapelle dédiée à Saint-Aubin. A proximité, dans le petit pré qui l’entourait, murmurait une source. C’était là un lieu de pèlerinage bien connu des Avonnais. Jusque vers la fin du XIXe siècle, chaque année, le 1er mars, les pèlerins se réunissaient de grand matin à l’église paroissiale d’Avon, d’où l’on partait en procession ; les confréries du Saint Sacrement, de la Sainte Vierge, de sainte Anne, de saint Roch, de saint Sébastien, de saint Jacques, de saint Louis et de saint Fiacre, prenaient la tête avec leurs bannières et insignes. Le clergé paroissial, augmenté d’une délégation des Trinitaires, fermait la marche. On avait ainsi un imposant cortège qui se dirigeait, en chantant des hymnes et des cantiques, vers la chapelle Saint-Aubin. Au sanctuaire, une messe solennelle était célébrée avec la pompe des plus grandes fêtes. On se rendait en procession à la fontaine. Le soir avant le retour, on chantait les vêpres et la procession se formait à nouveau pour revenir à l’église. Saint Aubin, dont le culte était très populaire dans la région, était invoqué par les mères de famille pour leurs enfants malades. L’eau de la source, recueillie dans une fontaine voûtée qui subsiste encore de nos jours, était réputée excellente contre les fièvres »(4). « On y menait aussi les enfants pour les rendre résistants et non maladifs »(5).
Une dernière chose : l’ultime procession vers la chapelle aurait eu lieu le mardi 1er mars 1836. On suppose que la fin de ce pèlerinage est peut-être du à l’édification du nouveau mur d’enceinte du domaine ou au transfert de compétence pastorale de la paroisse de Saint-pierre d’Avon à la paroisse Saint-Amand de Thomery(6). A voir donc.
PLAN DU DOMAINE DE SAINT-AUBIN, AVEC LA CHAPELLE ET LES RUINES DU
MANOIR (DESSIN DE L'INSTITUTEUR HUET, 1897)


(1) Théodore Lhuillier : Une légende de trésor à Thomery, Almanach de Seine-et-Marne, 1914, p152, 158.
(2) Bernard Pamart : le hameau de Saint-Aubin, chez l’auteur, 2001, p 2.
(3) Roger Lecotté Recherches sur les cultes populaires dans l’actuel diocèse de Meaux, mémoire n°4 de la Fédération Française Folklorique d’Ile-de-France, 1953, p 125.
(4) Camille Vayer : Avon, Librairie Chabosy, Fontainebleau, 1934, p 205-206.
(5) Roger Lecotté : Recherches sur les cultes populaires dans l’actuel diocèse de Meaux, mémoire n°4 de la Fédération Française Folklorique d’Ile-de-France, 1953, p 125.
(6) Bernard Pamart : le hameau de Saint-Aubin, chez l’auteur, 2001, p 7.








Fontaine pour animaux

C’est lors de mon premier, et dernier entretien, avec le regretté historien d’Avon, Bernard Pamart, que celui-ci me parla par hasard de la Fontaine aux Biches et de ses vertus un peu spéciales.
               Arrêtée par les couches d’argiles vertes qui stratifient l’assise de calcaire du bassin d’Avon, cette source jaillit du flanc droit du Ru de Changis comme la trentaine d’autres qui s’étagent au long des talus de ce même versant. Elle est située en limite de Forêt de Fontainebleau et à quelques mètres des premières maisons du village, au point X : 0629,011/Y : 1078, 635. Le chemin de la Fontaine aux Biches, qui devient ensuite une rue, passe sur le sommet de la petite pente de laquelle elle surgit. Cette source est visiblement très ancienne. Sur le plan d’intendance du 18ème, un vaste climat porte son nom. Elle alimentait autrefois un lavoir et des cressonnières avant de se jeter dans le Ru des Chollets et, plus loin, dans la pièce d’eau de l’ancien moulin de l’Érable, pour rejoindre ensuite le Ru de Changis, devenu souterrain, qui drainait les eaux de la forêt jusqu’à la Seine au niveau du Port de Valvins.
               A l’heure actuelle la source est toujours en activité. Elle s’écoule du bas d’une déclivité de terre, renforcée à cet endroit, par des blocs de grès. Un petit ruisselet plutôt vivace s’en échappe pour terminer sa course dans une propriété où il se déverse dans un premier et minuscule bassin, puis dans un second, semblable à une citerne, avant de disparaitre sous terre. 

LA FONTAINE AUX BICHES (AVON)

          Pour la petite histoire, un chasseur aurait raconté à Mr Pamart que l’eau cette fontaine avait la propriété de guérir les animaux malades ou blessés. Il leur suffisait d’en boire où de s’immerger dedans ou encore de se rouler dans la boue que l’on trouve aux abords de la source. Des gens y venaient aussi pour se soigner.   
                      Aujourd’hui, la Fontaine aux Biches ne donne plus vraiment l’impression de recevoir de visites. Il n’y a pas de traces d’animaux dans la boue et les maisons sont vraiment proches, trop peut-être pour que leurs mystérieuses ablutions puissent s’opérer en toute tranquillité. 


A noter, à proximité, une série de belles bornes couronnées datant du règne de Louis-Philippe.


BORNE COURONNEE DE LA FONTAINE AUX BICHES (AVON)

L’apocalypse, selon le Rocher de Samois
Compagnon d’infortune de la précédente, le Rocher de Samois n’est pas mal non plus dans sa catégorie. Culminant à environ 118 m, l’endroit était autrefois à découvert et on avait une belle vue sur la forêt de Fontainebleau, la vallée de la Seine et la campagne qui s’étendait au-delà. Enfin, c’est ce que j’imagine. À présent les arbres ont poussé dans tous les coins, et on ne distingue plus grand’ chose entre les branches des chênes et les troncs des pins. Victor Bouquet croyait que cet endroit, du fait de son élévation, aurait pu être un sanctuaire druidique. On peut tout envisager tant qu’aucun élément n’est là pour affirmer le contraire. Limosin a bien cru que c’était le légendaire Samothès, qui avait donné son nom à Samois. Et puisqu’on en est à s’inventer des trucs, l’un des parents de Bouquet supposait avoir découvert au sommet du rocher, un autel à sacrifices druidique.
Revenons quelques instants à la case départ. On doit cette fameuse théorie des druides sacrificateurs à Théophile-Malo Corret de La Tour d’Auvergne, militaire et celtisant français du XVIIIe, pour qui les monuments mégalithiques étaient l’expression typique de la civilisation celte. Même s’il n’est pas le premier à en parler, c’est lui qui dépeignit le dolmen comme un autel, car selon sa théorie ces monuments étaient des tables sur lesquelles les druides pratiquaient des sacrifices humains à des fins divinatoires, ou encore des promontoires destinés à s’adresser aux foules. Ces idées ont circulé pendant un bon bout de temps dans tout le pays et pour certains sont toujours d’actualité. On peut facilement supposer qu’à l’époque de Bouquet il était encore courant de se ranger du côté de ce genre d’explications.
LA PIERRE DRUIDIQUE DE SAMOIS
La pierre druidique du Rocher est toujours en place. Influence de Bouquet oblige, elle est parfois connue dans le village sous le nom de Pierre des Druides, ou Roche des Druides et au moins deux personnes du coin m’ont dit qu’au « temps des gaulois » ces derniers y faisaient des sacrifices humains ou d’animaux.  Lorsqu’on se tient face à la tour d’Isidore Hébert, elle se trouve à gauche à quelques mètres. La table de sacrifice est encastrée au centre d’un groupe de trois roches. Vous ne pouvez pas la manquer. D’après Bouquet, la pierre tabulaire était percée d’un trou qui débouchait sur l’un des bords antérieurs. Cette cavité est aujourd’hui condamnée par du ciment. J’ignore pour quelle raison, mais je trouve ça plutôt bizarre. Notre auteur parle également d’une grosse roche « formant un  couloir qui joint cette partie de l’esplanade à un curieux petit cirque rocheux »(1). Je dirais que c’est une façon de voir les choses. Pour terminer, et même si on sent bien que Victor Bouquet est à deux doigts de craquer en faveur de ce qu’il raconte, il reconnaît quand même que « ce n’est certainement pas là le type classique du dolmen, et nous ne suivrons pas notre parent imaginant la victime amenée par l’étroit couloir, l’Eubage sacrificateur officiant devant la foule rangée sur l’esplanade, le tout dominé par l’Archidruide monté sur la grande roche, dont le grès poli l’aurait été par ses pieds sacrés. Cependant toutes les apparences sembleraient confirmer cette thèse »(2).
Il y a effectivement des traces de polissage au sommet de la grande roche qui se trouve à droite lorsqu’on se tient face à la table. Mais elles me font davantage penser aux reliefs d’une piste de glissade qu’à ce que décrit Bouquet. Pour info, derrière cette même roche, un bloc plus petit, présente une cupule vaguement pédiforme.
Par un juste retour des choses, le Rocher de Samois a lui aussi sa légende. Rien de très gai non plus. Bouquet, témoin de l’affaire, assure qu’il existe « une tradition qui s’appuie sur la sonorité du sol du Rocher pour affirmer qu’il est creux et renferme dans ses profondeurs une prodigieuse nappe d’eau, capable de submerger le pays si le Rocher venait à se disloquer par suite de quelque cataclysme. Cette tradition était à ce point conservée naguère qu’en septembre 1858, à la fête de Saint-Loup, les eaux d’un orage et d’une trombe formidables, transformant les rues du village en torrents et se coalisant avec l’ouragan, emportèrent jusqu’à la Seine les établissements forains, dont les propriétaires s’arrachaient les cheveux de désespoir, pendant que les habitants terrorisés se lamentaient et que les anciens surtout criaient « que le Rocher était crevé et que tous allaient périr »(3).

(1, 2 et 3) Victor Bouquet : Notice historique et archéologique de  Samois-sur-Seine, chez E. le Deley, Paris 1913,  p18

Au menu : un poisson, des souterrains, des sources miraculeuses, et un saint champion de la peur
Selon la légende relatée par Rouillard, le nom de l’abbaye de Barbeau, définitivement détruite vers 1837, aurait été donné en souvenir d’un barbus barbus très particulier.
« Saint Loup, Archevêque de Sens, quittant la ville ou partant en exil en Neustrie, poussé par les intrigues du gouverneur, aurait jeté dans la Seine sur le pont de Melun (ou dans l’Yonne, selon les variantes) un très bel anneau surmonté d’un béryl pour apaiser une tempête qui menaçait d’entraîner un horrible naufrage. Il annonça qu’il ne reviendrait pas tant que l’anneau ne serait pas retrouvé. Par bonheur, peu de temps avant son retour, cet anneau fut récupéré par un pêcheur dans la bouche d’un barbeau, non loin de l’endroit où s’édifia plus tard la communauté religieuse. On le transporta aussitôt à la cathédrale pour le conserver dans le trésor. Puis il fut vendu, et grâce à l’argent récolté on put fonder en 1145 l’une des plus anciennes abbayes de France. Les armes adoptées par cette dernière perpétuèrent ainsi le souvenir de cette pêche miraculeuse »(1).
D’autres histoires circulaient sur cette abbaye, particulièrement sur des oubliettes, et un cachot qui se révélera être une fosse d’aisance, mais également des souterrains qui quitteraient Barbeau pour rejoindre Fontaine-le-Port, ou même Melun. Ils auraient été construits par les moines dans le but de se sauver en cas de danger. Mais les quelques tunnels découverts sont loin de confirmer ces hypothèses. « Il existe, en effet, à l’est de l’abbaye, un tunnel suffisamment haut pour qu’un homme puisse s’y tenir debout. Etait-ce bien un souterrain de secours allant déboucher plus loin, ou, comme le croit Rabourdin, tout simplement un petit canal couvert, destiné à amener l’eau de la colline voisine, vers le vivier et les réservoirs, en remplacement d’un ancien aqueduc détruit au XVIème siècle ? »(2)
Jadis, on prétendait également qu’une femme qui désirait obtenir un enfant et ne pouvait en avoir devait se rendre à l’église du couvent et tirer la corde de la cloche avec les dents. D’après Louis Millin, pour que le résultat soit garanti, elle devait le faire en présence du plus jeune des moines. « On assurait qu’il y avait dans cette maison une vertu miraculeuse pour la propagation de l’espèce humaine ; cette vertu était surtout attachée à une cloche dont on faisait tirer le cordon à la jeune épouse qui désirait de la postérité ; elle devait se trouver seule avec le plus jeune moine, et, pour peu qu’il fut de son goût, le miracle s’opérait »(3).
Où mettait-elle les mains pendant ce temps-là ?
Au n°1 quai Franklin-Roosevelt à Samois coulaient autrefois les Fontaines Dieu, un assortiment de sources qui d’après ce qu’on m’a dit tombaient en cascade. On les disait  miraculeuses, au point qu’il fut un temps question d’établir une station thermale. L’endroit était dit-on magnifique. Mais à la place, entre 1896 et 1912, l’architecte Eugène Cottin transforma la maison forestière en une luxueuse résidence du style des maisons de plaisance élevées au début du XXe siècle sur les bords de Seine.
Saint Loup est traditionnellement le patron du village de Samois, encore célébré par la fête du village le 1e dimanche de septembre. Durant cette manifestation, Victor Bouquet notait qu’ « une vieille coutume, qui subsistait encore à une époque récente (nous sommes en 1913), consistait à faire passer les enfants sous la châsse de saint Loup, ce passage devant, d’après la tradition, les préserver de la peur et des convulsions »(4)

(1) Roger Lecotté : Les cultes populaires dans le diocèse de Meaux, Mémoires de la fédération folklorique d'Île-de-France, Paris, 1953, p 129.
(2) Cosette Khndzorian-Iablokoff : Héricy, Association paroissiale d’Héricy, 1978, p 19.
(3) Aubin-Louis Millin : Les antiquités nationales, abbaye de Barbeau, Tome 2, Paris 1791, p 23.
(4)Victor Bouquet : Notice historique et archéologique de  Samois-sur-Seine, chez E. le Deley, Paris 1913, p 42.

De la magie d’une trop forte imagination 
Dans ses œuvres complètes, huitième édition, Ambroise Paré signale un enfant dont le visage ressemblait à celui d’une grenouille(1). D’après lui ce genre d’anomalie physique serait le produit de la simple imagination. Il la considérait si puissante qu’elle était capable d’agir directement sur le processus de la conception. Pour peu que, lors de rapports sexuels, la femme ou l’homme, ou les deux, se trouvaient soudain absorbés par quelque vision nocturne, rêve fantastique ou objet particulier, la semence du mari et la future progéniture du couple avaient toutes les chances d’être contaminées par les différentes images, émotions ou désirs suggérés par leur imagination. Pour preuve, il rapporte qu’en :
« L'an 1517, en la paroisse de Bois le Roi, dans la forêt de Bière, sur le chemin de Fontainebleau, naquit un enfant ayant la face d'une grenouille, qui a été vu et visité par maitre Jean Bellanger, chirurgien en la suite de l'Artillerie du Roi, en présence de messieurs de la Justice : à savoir l’honorable homme Jacques Bribon, procureur du roi, et Estienne Lardot, bourgeois de Melun, et Jean de Vircy, notaire royal à Melun , et autres. Le père s'appelle Esme Petit, et la mère Magdeleine Sarboucat. Ledit Bellanger, homme de bon esprit, désirant savoir la cause de ce monstre, s'enquit au père d'où cela pouvait procéder. Il lui dit qu'il estimait que sa femme ayant la fièvre, une de ses voisines lui conseilla pour guérir sa fièvre, qu'elle prit une grenouille vive en sa main, et qu'elle la tint jusqu’à ce que la dite grenouille fut morte : la nuit elle s'en alla coucher avec son mari, ayant toujours la dite grenouille en sa main : son mari et elle s'embrassèrent, et conçurent, et par la vertu imaginative ce monstre aurait été ainsi produit »(2).
FIGURE PRODIGIEUSE D'UN ENFANT AYANT UNE FACE DE GRENOUILLE
En dernière analyse, ce qui est intéressant ici, plus que la savante explication de Paré, c’est l’élément traditionnel que mentionne le témoin. Une grenouille vivante pour guérir la fièvre. Le principe lui-même, qui est à l’origine de toute l’histoire, est  plutôt cruel. Pourtant, je défendrais volontiers l’idée que c’est ce style de pratique barbare qui constitue l’unité de base de cet usage ; qu’elle est la démarche où s’élabore la magie et sans laquelle la guérison n’a aucune chance de se réaliser. Sans la souffrance de l’animal pas de résultat. C’est au niveau de l’acte que ça se passe, pas de la grenouille.
 L’autre raison d’être de ce témoignage relève de la rareté de ce type de tradition : dans le canton, elle constitue presque une sorte de première dans le genre.

(1) Pour ceux que ça intéresse, voici l’explication médicale du phénomène par Mr S. Louryan, de la Faculté de médecine de Bruxelles : Classiquement, la face de grenouille correspond à une malformation connue sous le nom de macrostomie. Il s’agit d’une fente faciale latérale, qui poursuit latéralement l’axe de la bouche, d’où le nom de macrostomie : grande bouche. L’anomalie est uni ou bilatérale. Elle répond d’un défaut de fusion embryonnaire entre le bourgeon maxillaire et le bourgeon mandibulaire, tous deux issus du premier arc branchial, et circonscrivant le stomodeum, ou cavité buccale embryonnaire. Cette anomalie peut être isolée ou s’associer à diverses autres malformations3. Elle est vraisemblablement due à une insuffisance de cellules au sein des bourgeons correspondants. Ces cellules dérivant des crêtes neurales céphaliques, on range ce type de malformation dans la catégorie des neurocristopathies.
(2) Ambroise Paré : Les œuvres complètes, Nicolas Buon, Paris, 1628, p 1022.

Diable et dame Blanche : étude d’une fontaine
A l’est-nord-est d’Héricy, en limite de commune avec Féricy et à quelques mètres de l’actuelle station de pompage (1), au lieu-dit actuel les Petites Ravaudes, parcelle n°1434, existe une fontaine, dite « La Fontaine au Diable »(2). Mr Antoine Philippe, ancien adjoint au maire de Machault qui connait l’endroit et a écrit quelques lignes à son sujet, ainsi que l’actuel Maire de Féricy qui se souvient vaguement en avoir entendu parler, sont les deux seuls individus qui lui ont permis de ne pas sombrer dans un oubli radical et définitif. Aujourd’hui, soixante ans après la construction de la station, les lieux, réappropriés par la végétation, ont été quelque peu bouleversés et certainement malmenés suite aux travaux d’adduction d’eau. La source, qui jaillissait au niveau d’une petite cavité en pierres sèches, resurgit à l’heure actuelle, à moins de huit mètres de sa sortie d’origine et, descendant la pente, rejoint plus bas le Ru de Fontaineroux, comme elle l’a toujours fait. Cette source, sorte de captage naturel de toutes les eaux provenant du plateau supérieur, alimentait autrefois un lavoir. Pour s’y rendre, certaines femmes venant de Machault, parcouraient plus de deux kilomètres en poussant des brouettes remplies de linge. Ce lavoir fut détruit dans les années 1952-53. Les blocs de pierre visibles à proximité de l’ancienne résurgence, sont peut-être les derniers vestiges de ce bâtiment. Comme bien souvent, personne ne sait pourquoi cette fontaine s’appelle comme ça. Les cadastres sont muets, mais la représentent néanmoins, comme sur le plan topographique de la région de Montereau de 1742. Certains, qui connaissaient l’existence de cette fontaine ignoraient qu’elle portait ce nom. C’est un processus naturel d’amnésie qui à même fait dire à d’autres qu’il n’y avait jamais rien eu à cet endroit. 

LA FONTAINE AU DIABLE (HERICY)
LA FONTAINE AU DIABLE (HERICY) PLAN TOPOGRAPHIQUE DE LA REGION DE MONTEREAU 1742 

                     Il demeure toutefois un témoignage indirect d’un certain Jean Martin trouvé sur Occulte.net. Indirect, parce qu’il n’apporte aucune réponse au sujet de la tradition, mais replace néanmoins les lieux dans un contexte légendaire moderne qui n’est peut-être finalement que le prolongement de quelque chose de plus ancien, mais malheureusement disparut. Il me semble suffisamment intéressant et précis pour le publier et puis le côté « stratégique » de l’endroit apporte à mon goût une certaine crédibilité à l’ensemble. A vous de voir :    

 « C’était il y a 25 ans de cela, au mois de janvier 1986. Je rentrais de mon travail en voiture, et à quelques kilomètres de chez moi, peu après avoir quitté Vulaines-sur-Seine, j’aperçu soudain une fille en robe blanche qui faisait de l’auto-stop au bord de la D227, peu après le carrefour où était planté une croix (3). Je n’étais pas pressé et il faisait plutôt froid, alors j’ai décidé de la prendre. La jeune fille était grande, pâle et portait une robe démodée, du style des années 50, peut-être. Elle me demanda alors de la conduire à Féricy, le prochain village. Comme j’habitais Machault à l’époque, j’ai accepté sans problème de la déposer. Son comportement, une fois dans la voiture se révéla surprenant. Elle ne répondit à aucune de mes questions, préférant rester muette, et regarder fixement devant elle comme si elle guettait quelque chose. Tout à coups, tandis que j’approchais des virages de la fontaine au Diable, elle se mit soudain à crier : « Attention ! » Puis, tandis que je me retournais vers elle, elle avait disparut. Je n’ai jamais parlé de ça à quiconque en dehors de ma famille »(4).    
DAME BLANCHE DE LA FONTAINE AU DIABLE (HERICY)
(1)Coordonnées Lambert : X : 0633,863 ; Y : 1083, 098.
(2) Antoine Philippe : Connaissance de Machault, édition du conseil municipal, p11.
(3)Il s’agit sûrement de la Croix des 4 Chemins mentionnée sur le cadastre napoléonien d’Héricy
(4)Jean Martin : http://occulte.net/temapparitions.htm
  Encore une histoire de char englouti 
Dans son étude mythologique du canton du Chatelet-en-Brie, Cosette Khndzorian-Iablokoff rapporte : « Dans un creux de la vallée du petit Ru qui coule au bas du Prieuré, en amont du site gallo-romain des Boulangis, légende d’un char englouti avec ses chevaux »(1). Elle n’en dira pas plus. La localisation exacte de la tragédie n’est pas non plus mentionnée. Dommage. Elle précise toutefois « Notons que le ravin en question est de dimensions très modestes, on ne voit pas comment un char aurait pu s’y engloutir »(2). La remarque est difficilement contestable dans la mesure où le Ru de Fontaineroux, plutôt étroit et peu profond draine une quantité d’eau à peine suffisante pour se tremper les pieds. Il est possible qu’autrefois, la configuration de ce ruisseau fût sensiblement différente. D’avantage de précipitations, un entretien régulier des berges et du lit de ce cours d’eau contribuaient peut-être à un niveau d’eau suffisant et au développement de ce genre de légende.
LE RU DE FONTAINEROUX (HERICY)


(1 et 2) Cosette Khndzorian-Iablokoff : Le canton du Chatelet-en-Brie et ses environs immédiats, BSMF, n°XCI, Octobre/Décembre 1973, p 119 et 127.



  
                                        BIBLIOGRAPHIE

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Paul Sébillot : Les eaux douces, Imago, 1983
Fréderic Viey Des Juifs à Fontainebleau.

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1 commentaire:

  1. eh bien, que de légendes dans cette région. ayant emmenagé récemment à fontainebleau, je suis tombé sur votre blog un peu par hasard, en cherchant justement le folklore local.

    merci pour toutes ces histoires, et la citation des références. de quoi animér les soirées d'hiver ! :p

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