SALON D'ART ANIMALIER

SALON D'ART ANIMALIER

samedi 16 mai 2009

Canton de Lorrez-le-Bocage


Canton de Lorrez-le-Bocage

Flagy 
1) C’est quoi au juste un Sarrasin ? bref historique (légendes de la Roche aux Sarrasins et le menhir présumé de la Haute-Borne)

Thoury-Férottes
2) Un accident de carrosse typique des belles journées abyssales de la mythologie (légende d’un carosse englouti)
3) S’appeler Pierre Cornoise quand Pierre aux Chasses ne convient plus (légendes et traditions du menhir de la Pierre Cornoise)

Voulx
4) Plus y a de croix, moins j’y crois ! (le menhir de la Pierre-de-la-Croix)

Diant
5) Et une Dame Blanche ! Une ! (légende d’une Dame Blanche) 
6) C’est à la minuit qu’on récolte les couteaux (légendes et traditions du menhir de la Pierre aux Couteaux)7) Du mobilier fait pour durer (La Pierre à la Chaise et la Pierre Châtelet)

Chevry-en-Sereine
 
8) Prolégomènes à une meilleure compréhension des phénomènes de l’histoire et des polissoirs (polissoirs néolithiques, aiguisoirs et affuteuses)
9) Comme une odeur de bruit de pieds (les fées de la Roche du Pied de Femme et le mystérieux Grand Pied)
10) Dirty job ! (le lutin égareur de la Roche à Mauprin)
11) L’appel du loup (le loup-garou des Bornes des 4 Chemins)
12) La fontaine disparue et le peintre (La Fontaine oubliée de Saint-Julien)

Vaux-Sur-Lunain
13) On ne la fait pas à saint Gengoult (légende de la Fontaine Saint-Gengoult)

Paley
14) Strip-tease mortel (les fées du Pont de Thierry)
15) Encore une histoire de Dame Blanche à la gâtinaise (la Cave aux Fées)
Décalcomanie de village néolithique (fouilles du village néolithique de la Roche au Diable)

Villemaréchal
16) Les Sarrasins prononcent leurs veaux (Trésor de la Cave Aujé)
 

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C’est quoi au juste un Sarrasin ? Bref historique
                        A Flagy, sur le versant sud de la colline du Bois de Belle Fontaine, juste en limite de barbelé, mais à l’intérieur d’une propriété, a été signalé dès 1906 par Edmond Hue un abri orné du nom de Roche aux Sarrasins. Il se présente aujourd’hui comme une sorte de gros bloc de grès percé d’un conduit assez court, souvent ensablé et envahi de feuilles mortes. Des quadrillages et des sillons y ont été principalement répertoriés.

LA ROCHE AUX SARRASINS (FLAGY)

                  « Des Sarrasins vivaient à cet endroit et affûtaient leurs épées sur le rocher. Les motifs gravés, visibles dans le boyau, témoignent de cette activité »(1).
GRAVURES, ROCHE AUX SARRASINS (FLAGY)
                    Dans un autre registre, on racontait également : « un loup monstrueux (un loup-garou ?), aurait niché dans ce trou. Ce sont les traces de ses griffes que l’on peut apercevoir à l’intérieur de la roche »(2).


                      Avant de passer à autre chose, j’aimerai quand même préciser qu’une certaine confusion existe à propos des Sarrasins.
                       En dehors du fait qu’ils désignent tout opposant païen pour les Carolingiens, les musulmans pour les Croisés du Moyen Âge, et par la suite, les infidèles de tout poil, du point de vie mythologique ou légendaire la distinction n’est pas si simple. Sébillot pense qu’on a pu parfois les associer aux bohémiens, à des fondeurs de fer ambulants, ou à des populations nomades qu’on désignait sous le nom générique de Sarrasins. Mais leur aspect est changeant. Dans la tradition, ils survivent sous la forme de lutins infernaux, de nains troglodytes, de farfadets cannibales, de diablotins noirs et même de vampires. Ils vivent dans les grottes, les anfractuosités naturelles, les mégalithes, les ruines. Leurs mœurs sont proches de celles des animaux. Dans la majorité des cas, mais pas toujours, (ils peuvent aussi parfois rendre service), ce terme se réfère à des créatures ou des lieux pas trop fréquentables. A travers le souvenir dénaturé des anciens envahisseurs musulmans, ils sont en quelque sorte la représentation d’une peur ancestrale de l’étranger, le reflet de la crainte d’une culture différente, déchue et redoutée. Ça y est, je l’ai dit !

                      Toujours concernant Flagy, Chouquet prétend qu’un menhir y existait encore dans les années 1875. Il aurait été détruit peu après. Seul le lieu-dit la Haute Borne, situé sur la frontière nord de la commune, pourrait rappeler un tel monument. Chouquet est d’ailleurs le seul à en parler. La possibilité qu’il y ait eu confusion avec un autre bloc n’est pas à exclure.

(1 et 2) Anonyme : Renseignements sur les traditions, coutumes et croyances des vallées de l’Orvanne et du Lunain, 1930 ? Archives Départementales de Seine-et-Marne (ADSM) 968 F6.




Un accident de carrosse typique des belles journées abyssales de la mythologie
                      Retour à la case « carrosse englouti ». Une légende similaire à celle de Moret faisait la « une » des soirées à thème il n’y a pas encore si longtemps dans le village de Thoury-Férottes.
                 A l’emplacement actuel de la nouvelle station de pompage, à côté du stade de foot, s’ouvrait autrefois un abîme, un trou sans fond, où l’eau potable était captée. Elle rejoignait l’Orvanne par un ruisselet appelé le Ru-Mort dont le nom résonne étrangement avec le Ru des Trémorts de Moret, résonnance d’autant plus forte qu’un accident du même type s’y est déroulé. Faut dire que l’endroit, arrosé en permanence et copieusement par la rivière Orvanne, n’est qu’une suite de marais et de terrains imbibés de flotte, se prolongeant jusqu’à l’ancienne gare. Pour arranger le tout, un souterrain partant de l’ancienne ferme-château de la Forteresse passait soi-disant à proximité du gouffre avant de rejoindre le village de Chevry-en-Sereine. Ce qui fait au bas mot une galerie de 5 km de long. Damned !!! Encore un coup du « mythe du souterrain de communication à grande distance ».   

RU-MORT ET AU FOND ACTUELLE SOCIÉTÉ DE POMPAGE 
               
                         Alors souterrain ou pas souterrain ? Toujours est-il que les traditions renvoient l’écho d’un tragique accident survenu au milieu du XVIIe siècle, et dû pour certains à l’effondrement de ce tunnel.
                     « Un carrosse, cocher, postillons et princesse aurait été englouti avec son attelage dans cet abîme insondable et n’aurait plus jamais reparu. On racontait que, parfois, lorsque le niveau de l’eau était au plus bas, on distinguait encore le toit et les deux brancards du véhicule. Aux dires de plusieurs témoins, le fantôme de la princesse aurait été aperçu en ces les lieux jusque vers la fin du XIXe siècle »(1).    
                                                                                                                        
(1) AHVOL (Association pour l’aménagement harmonieux des vallées de l’Orvanne et du Lunain) : Promenade en Gâtinais, Voulx, 1987 et tradition orale.


S’appeler Pierre Cornoise quand Pierre aux Chasses ne convient plus
                        Planté au milieu de l’alignement des pylônes EDF, en moins moche mais en plus petit, se trouve un grand menhir que les gens du pays connaissent bien. Aujourd’hui, on a coutume de l’appeler Pierre Cornoise. Je dis aujourd’hui, car sur un plan topographique de la commune de Thoury-Férottes levé en 1782, il est alors signalé sous le nom de Pierre aux Chasses.  Aux trous ? Si c’est le cas, c’est sûrement à cause de l’aspect taraudé de sa surface.

LA PIERRE CORNOISE (THOURY-FEROTTES) 

                            La position, la forme pyramidale et relativement plate du monolithe ne laissent guère de doute sur son rôle de pierre dressée. C’est un grès dur, de large base qui s’allège progressivement jusqu’à un sommet délicatement « taillé en pointe ». Sa surface présente de nombreuses dépressions naturelles, des cavités cupuliformes, dont un petit boyau en particulier, au bord de l’arête Ouest, qui traverse le menhir de part en part. Il en sera question bientôt.
Vers 1860, des fouilles sauvages furent effectuées au pied de la pierre par un certain Isidore Chapellier et l’abbé Gilet, curé de Thoury-Férottes. On raconte qu’ils voulaient vérifier si les fameux ossements (ou les richesses ?) du « général enterré » de la légende se trouvaient bien en place. Ils s’y prirent comme des manches. Bilan de l’opération : le bloc fut renversé sans plus de ménagement et resta couché sur le sol pendant plus de 35 ans. Il fut redressé vers 1895, sur l’initiative du maire de l’époque, M. Dupré, qui vota une somme de 50 francs pour que réparation soit faite.
Si je vous parlais d’un « général enterré », c’est que la « tradition rapporte que la pierre aurait été élevée sur la tombe d’un général nommé Cornois, mort sans doute vers la fin du VIe siècle, époque à laquelle Thierry et Théodebert, rois de Bourgogne et d’Austrasie, livrèrent en 599 une bataille sanglante à Clotaire, roi de Soissons »(1).
Inutile de vous faire un dessin. Vous l’avez tous deviné, il s’agit encore de la Bataille de Dormelles. Cette fois-ci, c’est Michelin, transcendé par les fumeuses théories de l’abbé Béraud, qui s’y colle.
A défaut de connaître l’origine du nom « Cornoise », on peut toujours se rabattre sur plusieurs hypothèses suggérées par :
1° La position du menhir, décrite comme étant à la corne, au coin, et qui forme un angle droit avec le sol.
2° Sa forme, parce que la pierre se termine en pointe, comme une corne.
3° Sa fonction, car avec un peu de peine et en utilisant le canal perforant évoqué plus haut, il est possible d’accroître l’amplitude des sons, de se servir de la pierre comme d’un porte-voix. De « corner », en quelque sorte.
CANAL PERFORANT, PIERRE CORNOISE (THOURY-FEROTTES)


Patrice Vachon, membre de l’équipe de la revue « Pays de Bourgogne », signale, dans son remarquable ouvrage sur les pierres légendaires de la Côte d’Or, la Pierre qui Corne de Rochefort-sur-Beuvron, qui nous rappelle, par un côté, l’une des caractéristiques du menhir de Thoury-Férottes : « Cette fameuse pierre était située, d’après certains écrits, près du pont, au milieu de l’étang des usines. Elle était simplement posée sur un rocher et se trouvait donc en position peu stable, vacillante. On la décrit comme une pierre informe, inégale, une sorte de pyramide quadrangulaire tronquée avec des aspérités. Elle n’a jamais été taillée, mais elle était percée de deux trous. On ne sait pas si un conduit existait entre ces deux cavités, mais si vous parliez dans le trou supérieur, le son sort par celui du bas, faisant ainsi porte-voix. C’était évidemment l’amusement des villageois et plus particulièrement des enfants. Elle restituait un son éclatant qui s’entendait au loin et se répercutait d’écho en écho dans la vallée du Beuvron (...) »(2).    
 
Tout ça ne nous explique pas pourquoi, ce menhir a troqué son ancien patronyme pour un autre. Que s’est-il passé entre 1782 et 1832, époque à laquelle la « Pierre aux Chasses » disparaît du cadastre Napoléonien ? Existait-il plusieurs blocs ? Trois articles attestent de l’existence d’un couple de menhirs sur la commune de Thoury-Férottes. L’un est de Dubarle, et les suivants de Joanne et de Leboeuf (3).
            Si certains font mention de pierres dressées sans préciser leur position ou leur éloignement, le second parle d’un « groupe de 2 menhirs »(4), ce qui rejoint la possibilité d’un ensemble. Un terrier de 1775 rapporte également un lieu-dit les Roches près du sentier des Processions, chemin qui, par une de ces curieuses coïncidences, longe le climat de la Pierre aux Chasses(5).
Malheureusement ces précisions traduisent simplement le problème, mais ne le résolvent pas, aucune preuve n’étant à portée pour défendre catégoriquement ces affirmations.
            Au reste, il est toujours délicat de mesurer le degré « d’inspiration » de nos différents auteurs qui ont pu se recopier les uns les autres sans forcément vérifier la réalité de ce qu’ils rapportaient.

LA PIERRE CORNOISE (THOURY-FEROTTES) 
           
                En 1836, Dubarle parait être le premier à lancer cette hypothèse, sans pour autant dévoiler l’origine de ses sources. De leur côté « les habitants de Thoury-Férottes ne se rappellent pas avoir entendu parler d’un deuxième menhir »(6) et Armand Viré de supposer qu’il pourrait bien « être identifié avec la Pierre-Levée de Dormelles, qui est peu éloignée »(7).    
Les anciennes traditions ne nous en apprendrons pas plus, sauf peut-être sur la fonction des cupules, et encore :
« Il était de coutume dans le village de venir la nuit à la pierre, seul ou en procession et en tenant à la main une bougie allumée, on faisait deux ou trois fois le tour du bloc en formulant un souhait, puis pour terminer on déposait une pièce de monnaie dans l’un des trous de la pierre »(8).
« Le jour de la fête patronale, les enfants avaient l’habitude de danser autour pour se porter chance, et le soir des Brandons, on courait autour avec des torches enflammées »(9)
La vieille tradition des Brandons, qui avait lieu le premier dimanche de Carême annonçait la fin de l’hiver et l’avènement du printemps. C’était un ancien rite de purification certainement préchrétien. Un peu partout en France, des torches de paille étaient promenées par les populations à travers la campagne, dans les vergers, les vignes et les champs, le tout en chantant et en dansant. Ce feu bienfaiteur, source de chaleur et de fertilité, devait ainsi rendre la terre féconde, les moissons vigoureuses et apporter protection et abondance.
Visiblement, à Thoury-Férottes, la coutume des Brandons devait tenir une place non négligeable. De ce côté là, certains toponymes sont révélateurs. Les différents plans et cadastres du village en portent encore les traces. On trouvait par exemple sur celui de 1782 « les Vignes des Brandons », qui occupait le climat à l’est de celui de l’actuelle Pierre Cornoise. Un autre lieu-dit, « les Brandons », présent en 1832, et sans doute le reliquat du précédent, semble avoir survécu, puisqu’il apparaît toujours sur la carte IGN n° 2517W. Il existait même une « Croix des Brandons », au carrefour de l’ancien Chemin de Dormelles à Chéroy et du Chemin du Bois de la Motte. Elle ne figure plus nulle part aujourd’hui.
Une dernière mise au point : plusieurs auteurs ont octroyé à la Pierre Cornoise la légende « des couteaux » empruntée au menhir de Diant. Il n’y avait vraiment aucune raison à ça.



(1) Edmond Hue : Menhir de la Pierre Cornoise, Paris, Librairie C. Reinwald, Schleicher frères et Cie, 1907, p 3.
(2) Patrice Vachon : Pierres et Légendes de Côte-d’Or,  éditions l’Arche d’Or, Mars 1999. p 51 et 52
(3) Rapporté par R.C Plancke : La « Compile » des mégalithes de S-et-M, Notre Département, Février-Mars 1996 et Edmond Hue : Menhir de la Pierre Cornoise, Paris, Librairie C. Reinwald, Schleicher frères et Cie, 1907, p 4, 5 et 46
(4) Rapporté par Edmond Hue : Menhir de la Pierre Cornoise, Paris, Librairie C. Reinwald, Schleicher frères et Cie, 1907, p 4 et 5
(5) Cueilloir à 4 confins de la paroisse de Thoury-Férottes : archives départementales de Seine-et-Marne. Référence A 24, p 50
(6) Edmond Hue : Menhir de la Pierre Cornoise, Paris, Librairie C. Reinwald, Schleicher frères et Cie, 1907, p 4
(7) Armand Viré : Les mégalithes de l’arrondissement de Fontainebleau, l’Homme Préhistorique, n°4, Avril 1906. (Tome 4, p 109)
(8&9) Anonyme : Renseignements sur les traditions, coutumes et croyances des vallées de l’Orvanne et du Lunain, 1930 ? Archives Départementales de Seine-et-Marne (ADSM) 968 F6.


Plus y a de croix, moins j’y crois !
                       Y’en a qui ont le chic pour suer sang et eau sans que l’on sache pourquoi. J’imagine qu’ils ont de bonnes raisons. C’est ce que je me dis chaque fois que je songe à la Pierre de la Croix de Voulx. Mais revenons un peu à ses origines.

LA PIERRE DE LA CROIX (VOULX)          
                    La Pierre de la Croix est généralement considérée comme une pierre dressée, mais pas forcément d’époque préhistorique. Donc on ne parlera pas avec certitude de menhir. On la confond parfois avec la Croix du Curé, qui est une croix en fer forgé avec support en grès datant des années 1869 et se trouvant sur le territoire de Chevry-en-Sereine. Celle dont nous parlons est située à Voulx, au lieu-dit du même nom, toponyme qui existe déjà au début du XVIIe siècle (1644). Retenez cette date, ça sera important pour la suite. Sa localisation exacte est délicate. Isolée en plein bois, à peu de distance de la limite sud de la commune, elle est plutôt difficile d’accès. Tout ce que je peux dire c’est qu’elle se trouve dans la parcelle n° 489, section F, 3e feuille, du cadastre. Sa position prise au GPS par Bernard Théret est : 646, 237 - 1062, 617.
LA PIERRE DE LA CROIX (VOULX)


                     Elle ne mesure pas plus d’1,50 m, pour une largeur maxi d’1 m et une épaisseur de 90 cm. Elle ressemble vaguement à un bonnet Compton de chanteur de rap. La dernière fois que je l’ai vue, quelqu’un l’avait couverte en partie de peinture rouge. Pas génial question esthétique, mais pratique pour la repérer.
                    La particularité de notre pierre est de posséder trois croix, un nombre et une lettre gravés, ainsi qu’un motif piqueté. Passons tout ça en revue.
                  La croix de la face Sud est la moins raffinée. C’est aussi la plus traditionnelle. Elle est de type latine et c’est déjà bien suffisant. Celle de la face Est représente le même genre de croix mais en amélioré. Une base rectangulaire avec deux petits traits verticaux vers le bas, a été ajoutée.
                              La dernière, sur la face Ouest, qui est aussi la plus grande (29 cm), a été réalisée au burin. La profondeur du tracé atteint jusqu’à 2 cm par endroit, contre 0,5 cm et 1 cm pour les précédentes. Son aspect est lui aussi différent. Cette fois-ci la base de cette croix, également latine, a été complétée par un anneau. Ses branches ont davantage été travaillées, sauf une. Cette croix se distingue facilement des deux autres par sa complexité, et son tracé démontre la détermination de son auteur à imposer sa marque dans le temps. Pourquoi s’est-il donné tant de mal ? S’agit-il d’une tentative de christianisation de la pierre, censée éradiquer un culte ancien, ou de conjurer les manifestations infernales du lieu ? D’une marque de propriété, de limite de territoire ? Mystère. En définitive, il est possible que ce soit elle qui ait donné son nom à la pierre, car n’oublions pas, on parle d’une Pierre de la Croix, pas « des croix ».

CROIX GRAVEES ( LA PIERRE DE LA CROIX (VOULX)

                        Le nombre 1842 et la lettre P ont été burinés au sommet du bloc. L’idée généralement admise est que le nombre représente une date. Possible. En revanche, si c’est le cas, elle doit être postérieure à la grande croix annelée puisque la pierre porte déjà son nom en 1644. Quant à la lettre, s’agit-il de l’initiale d’un nom ? J’avais aussi pensé aux unités de longueur comme le pied, ou la perche, mais au milieu du XIXe je ne suis pas certain qu’elles étaient encore utilisées. Et puis je ne vois pas bien ce que pourrait signifier ces mesures, excepté une longueur ou une surface quelconque. Je m’en tiendrais pour le moment à l’hypothèse de la date.
Au-dessus de la grande croix, Alain Bénard, président du GERSAR, a découvert « un motif subcirculaire dont le contour est seul piqueté et dont la partie supérieure présente une concavité centrée sur un court appendice apical »(1). Traduction : une gravure qui évoque la silhouette d’une pomme. Pour lui ce motif « est énigmatique (…) et ne semble pas se placer dans l’iconographie chrétienne (…) Les mégalithes néolithiques présentent fréquemment des gravures finement piquetées et peu visibles comme celle-ci. Mais ce motif n’a pas d’équivalent et son attribution au Néolithique est hasardeuse »(2)
Je n’ai rien à dire de plus.  



(1 et 2) Alain Bénard : La pierre à la Croix du Curé, Bulletin du GERSAR, n°44, 1997, p 14/15 et p 17.

Et une Dame Blanche ! Une !
                          Au nord de Diant, juste en frontière de commune, une fois de plus, se trouve le lieu-dit de la Haie à la Dame. Il est mentionné dans la Déclaration de la terre de Dian, de 1669. Une courte légende, plutôt une rumeur rapportée par le Baron Dijols, prétend :
               « Qu'une Dame Blanche aurait été aperçue à plusieurs reprises au lieu-dit ‘la Haie de la Dame’ ; elle tenait un cierge allumé dans une main et une baguette de bois dans l’autre »(1).
                 Dans les environs immédiats, plusieurs toponymes semblent en quelque sorte prolonger ou peut-être jalonner le parcours de l’apparition, comme c’est parfois le cas. Du nord au sud on trouve : Le ravin de la Haie de la Dame et le Noyer à la Blanche. Attenant au climat de la Haie à la Dame, se trouve celui de la Roche Plate, rappelant peut-être une roche légendaire, et ce avec beaucoup de réserves cependant, car étant allé prospecter dans le coin je n’ai rien découvert.



(1) Anonyme : Renseignements sur les traditions, coutumes et croyances des vallées de l’Orvanne et du Lunain, 1930 ? Archives Départementales de Seine-et-Marne (ADSM) 968 F6.



C’est à minuit qu’on récolte les couteaux
Bizarre. Lorsque le menhir de Diant est vu d’un certain côté, il semble avoir l’aspect d’un personnage barbu. Il suffit de changer de place et voilà qu’on dirait à présent une sorte de poing ganté dressé vers le ciel. Si vous continuez encore deux fois vous verrez la silhouette encapuchonnée d’une femme enserrant son enfant, et le dos et les épaules d’un homme ou encore la sainte vierge tenant l’enfant Jésus dans ses bras(1). Pour la suite, laissez aller votre imagination.
 Le menhir de la Pierre aux Couteaux, puisque c’est son nom, se trouve à la sortie Est du village, sur un coteau herbeux bordé par le Bois de la Montagne. Le document le plus ancien en ma possession et attestant l’appellation de ce mégalithe date du 3 Avril 1630. C’est un bail à ferme. Le monument se nomme alors la Piere des Cousteaux.
La hauteur du menhir avoisine les 4 m pour une largeur maximum de 2,50 m et une épaisseur de 80 cm.

LA PIERRE AUX COUTEAUX (DIANT)

D’après Prou il aurait bien faillit être détruits dans les années 1846, puisque le propriétaire du menhir lui aurait déclaré avoir été sur le point de le casser pour en débarrasser le sol et en faire des moellons(2).
Seuls deux témoignages écrits concernant des fouilles clandestines nous sont parvenus : la première fut effectuée vers 1875 par un inconnu et le monument « ne dut sa conservation qu’à la crainte, mélangée de superstition, qui saisit le fouilleur lorsque le bloc commença à remuer »(3). La seconde, par un certain Guilleminot qui a « fouillé la face Est du menhir jusqu’à 2 m de profondeur sans avoir pu parvenir à la base de la roche. Le mégalithe s’élargit sensiblement sur toute la profondeur explorée ».
Signalons également qu’une série d’environ 8 cupules s’échelonne de haut en bas le long de la ligne Sud du menhir, et que l’une d’entre elle, creusée à hauteur humaine, renferme parfois quelques traces de cire de bougie. Du gui a également été retrouvé au pied du bloc à plusieurs reprises. Enfin, une gravure récente (moins de 10 ans) en forme de triangle a été exécutée sur la face Est, à 1,50 m du sol. Je n’ai aucune explication à fournir pour interpréter la présence de ce symbole.     
Question légendes et traditions, la Pierre aux Couteaux n’est pas en reste. On pourrait même dire qu’elle en a à revendre. Ça pourrait en arranger d’autres, moins nanties, mais bon, on n’est pas là pour ça.

LA PIERRE AUX COUTEAUX (DIANT)

Débarrassons-nous déjà de l’abbé Béraud, persuadé que « Le menhir était un monument commémoratif de la chimérique Bataille de Diant »(4) et qui a poussé les habitants de la région à croire que « ce mégalithe était le tombeau du fameux Thierry roi de Bourgogne »(5). Thierry qui était, histoire de bien vous farcir la mémoire, l’un des principaux protagonistes de la Bataille de Dormelles.
Voilà, c’est fait, passons à la suite. 
On présume dans le pays que le nom de la pierre vient du fait « que l’on découvre régulièrement des couteaux et des armes de silex dans ses parages »(6). Un habitant de Diant m’a précisé dernièrement que « si on fait 7 fois le tour du menhir, on est bon pour trouver des couteaux en silex ». 
Une autre rumeur prétend que « les gens des environs se servaient autrefois du menhir pour affûter les lames de leurs outils, ou de leurs couteaux »(7).
Ce que m’a rapporté Madame B. de Chevry-en-Sereine est tout aussi intéressant. Une étrange coutume s’observait autrefois. « On racontait alors que le menhir laissait échapper plusieurs couteaux, si en pleine nuit on venait le frapper violemment d’un coup de tête, après en avoir fait le tour ». J’ai appris plus tard qu’il en tombait 6 ou 7 à chaque coup porté contre la pierre. Madame B. m’expliquait en se marrant que dans leurs jeunes années son mari et elle avaient conseillé à l’un de leurs ouvriers agricoles de se prêter à ce petit jeu, et que le malheureux, qui s’exécuta naïvement, n’obtint en récompense qu’un bon mal de crâne.
Je l’ai déjà dit, mais cet usage a été attribué à tort à la Pierre Droite d’Ecuelles et la Pierre Cornoise de Thoury-Férottes, tout comme d’ailleurs les histoires de l’abbé Béraud et consorts. Parfois les légendes voyagent et se déplacent, contaminant lieux et monuments. C’est comme ça. C’est le problème de l’oralité et des faiblesses humaines. On n’y peut rien. Tant que j’y suis, j’ouvre une petite parenthèse au sujet de ce que j’ai appelé les « roches à canulars ». Le principe de ce genre de farce relevé en plusieurs régions de France rayonne autour d’une poignée de thèmes et de procédés récurrents. Souvent la pierre sent l’huile, le poivre, ou laisse parfois entendre une musique, des sons de cloches d’église et j’en passe. Le résultat, lui, est toujours le même. Celui qui s’approche trop près de la paroi pour vérifier ce qu’on lui a raconté offre l’opportunité à quelqu’un de lui écraser le nez ou la tête contre la pierre. A première vue tout ça semble sans intérêt, mais il m’est venu à l’idée que ces différents procédés étaient peut-être les reliefs d’une tradition archaïque similaire à une expérience de vision. On sait aujourd’hui que lorsqu’un être humain entre dans un état de conscience altéré, reçoit un coup sur la tête, ou quand une très vive lueur frappe ses yeux, son système optique génère une série d’images entoptiques à motifs variés. Ils  sont principalement géométriques et rarement figuratifs : grilles, lignes parallèles, points, zigzags, serpentiformes, spirales… (Un peu comme à l’intérieur des abris ornés de la forêt de Fontainebleau). Dans certaines pratiques chamaniques, ces motifs font figure de symboles et peuvent être interprétés en conséquence au bénéfice du pratiquant ou de la communauté. 
Bien entendu, il n’y a là que des suppositions. Poursuivons. 
« Le menhir était réputé au Moyen-âge pour être une pierre de justice, et les seigneurs du château de Diant en avait fait un lieu de supplices. Les squelettes que l’on trouve aux environs ne seraient que les victimes enterrées sur place »(8).
La présence de ces derniers a toujours soulevé de nombreuses questions. D’après Edmond Hue, la charrue ramenait régulièrement des os des alentours du menhir, et une petite marnière située à 50 m du mégalithe en contenait également. De quelle époque dataient ces ossements ? Armand Viré, qui en avait récupéré quelque uns, avait aussi collecté des armes et des objets. Il ferait remonter l’ensemble « seulement à la guerre de 100 ans », ce qui coïnciderait avec la légende ci-dessus. A l’opposé, des auteurs comme Théodore Tarbé, M. Prou(9) ou Gabriel Leroy, vaccinés à l’abbé Béraud, en font des cadavres de soldats mérovingiens morts durant la bataille de Diant. Ce qui n’était visiblement pas le cas.
La Pierre aux Couteaux n’est pas réputée pour avoir des vertus curatives, mais on m’a rapporté il y a peu qu’ « en été, lorsque le bloc a pris le soleil depuis le matin, et qu’il est bien chaud, certaines personnes, parmi les anciens, viennent s’adosser à la pierre. On dit que c’est un excellent remède contre les rhumatismes ou le mal de dos »(10).  
Il paraîtrait également que les artilleurs allemands l’auraient pris pour cible en 1940 et que le baron Dijols fit des pieds et des mains pour les dissuader de continuer. Il y aurait quelques traces d’impacts. Je ne les ai jamais vues. 
Pour finir, notons qu’en 1908 le préhistorien Edmond Hue a découvert à peu de distance du menhir une série de gros blocs de grès pouvant suggérer les restes d’un dolmen détruit.
A noter également qu’à 250 m au Sud-est du menhir un climat porte le nom de Pierre aux Mouches. Les mouches, en patois du Gâtinais, sont synonymes d’abeilles, mais aussi parfois de fées. A voir.
L’ancien toponyme, la Roche Aiguë, était situé à 1,4 km au nord du mégalithe. Il renfermait peut-être un menhir. Et même si les mémoires sont muettes à se propos, la dénomination semble en tous cas le suggérer.
                                                                                                                              
(1) M. Vignon : Notice sur le Menhir de Diant, Bulletin de la société archéologique de Sens, 1846, p18.
(2) M. Prou : Etude sur les monuments celtiques, Bulletin de la société archéologique de Sens, 1846, p 34.
(3) Armand Viré : Les mégalithes de l’arrondissement de Fontainebleau, l’Homme Préhistorique, n°4, Avril 1906. (Tome 4, p 101)
(4) Abbé Béraud : cité par Edmond Hue dans : Menhir de la Pierre aux Couteaux, p 66.
(5) Armand Viré : Les mégalithes de l’arrondissement de Fontainebleau, l’Homme Préhistorique n°4, Avril 1906. Tome 4, p100
(6) L. Pénot : Monographie de Dormelles. Décembre 1888. Archives départementales de Seine-et-Marne.
(7)Tradition orale
(8) Edmond Hue : Menhir de la Pierre aux Couteaux, l’Homme Préhistorique n°3, année 1908. Tome 6, p 78.
(9) M. Prou : Etude sur les monuments celtiques, Bulletin de la société archéologique de Sens, 1846, p 30,31.
(10) T radition orale


Du mobilier fait pour durer
Il existe sur le territoire de Diant deux autres pierres à légendes.

LA PIERRE A LA CHAISE (DIANT)

La Pierre Chaise est située au bord de la route départementale 37, à quelques pas de la frontière avec l’Yonne. C’est un grès blanchâtre quand il est propre, et qui affleure au plus haut point de 90 cm environ. Il s’étend sur une longueur de 4 m, une largeur de 3 et ressemble à une épaisse coulée de sable solidifiée. Un peu en décalage du centre, une sorte de prisme tronqué n’est pas sans évoquer un petit siège. En tous cas, si ce n’est pas flagrant, l’endroit est plutôt confortable.


Trois grands bassins dont deux assez profonds et dont l’un porte une zone de polissage, comme d’autres roches non loin de celle-ci(1), et une  empreinte pédiforme pas trop moche se tiennent à l’extrémité droite du grès.
                     Dans la Déclaration de la terre de Dian, de 1669, le bloc est mentionné sous le nom de Pierre à la Chaire. Certainement parce que « Les moines avaient l’habitude de venir prêcher sur le plus haut point de cette roche »(2). 
EMPREINTE PEDIFORME, PIERRE A LA CHAISE (DIANT) 

Au nord de la Pierre Chaise, dans le Bois des Moines, à moins de 80 m, se trouve une petite pierre dressée de 80 cm de haut. Visiblement elle est passée complètement inaperçue. Je tenais simplement à la signaler. 


La Pierre Châtelet, perdue dans les Bois des Joncheries, juste à côté du Bois des Brandons, est bien connue des enfants du hameau qui s’y rendent souvent pour jouer. Cette énorme forteresse de grès de plus de 200 m3 est la dernière roche d’une série de gros blocs plus ou moins groupés.

LA PIERRE CHÂTELET (DIANT)

Elle a vaguement l’aspect d’un rectangle arrondi. Ses deux grandes faces font à peu près une quinzaine de mètres de longueur pour une hauteur de 3 et 4 m. Elles sont creusées de profondes saignées, de cupules, de creux et de bosses. L’un des côtés offre un conduit évasé propice à la glissade. Le sommet, relativement plat, abrite plusieurs cuvettes pleines de flotte et une succession de protubérances rappelant un peu les créneaux d’un chemin de ronde. C’est vrai que cette pierre pourrait faire penser à un château en miniature, d’où son nom, j’imagine. Pourtant, d’après Christian C. des Joncheries, « c’est parce qu’autrefois les gens de Diant et de Dormelles se seraient livrés une bataille au sommet de cette pierre ».
Est-ce une réminiscence de la légendaire bataille de Dormelles ? Je l’ignore.
Quand je vous dis que l’abbé Béraud a vraiment fichu le souk ! 



(1) Bernard Theret : Inventaire des polissoirs de Seine-et-Marne, Chez l’auteur.
(2) Anonyme : Renseignements sur les traditions, coutumes et croyances des vallées de l’Orvanne et du Lunain, 1930 ? Archives Départementales de Seine-et-Marne (ADSM) 968 F6.

Prolégomènes à une meilleure compréhension des phénomènes de l’histoire et des polissoirs
                       Les polissoirs. Ces blocs de grès au fort pouvoir abrasif servaient de dispositifs naturels aux hommes du Néolithique pour le polissage des outils en général et des haches taillées en particulier. Jusqu’au début des premiers temps de la métallurgie, on a dégrossi, taillé, puis poli la pierre dans toute la partie gâtinaise de la Seine-et-Marne, mais surtout le long des vallées du Loing et du Lunain, là où l’abondance des grès se prêtait à ce genre d'activité. Le dernier inventaire réalisé fait état d’un peu plus de 90 polissoirs, ce qui finalement n’est pas une somme si remarquable au regard des 2500 ans de règne de l’époque néolithique. Les traditions, en décalage avec l’histoire humaine, mais plus proches de la réalité quand il s’agit de la fonction de ces monuments, les évoquent sous diverses appellations désignant Celtes, soldats du Moyen-Âge, envahisseurs non-chrétiens et même des militaires allemands de la seconde guerre mondiale. Au gré des lieux et des communes, on trouve pêle-mêle des Roches des Gaulois, des Roches aux Anglais, des Pierres des Sarrasins ou simplement, des Aiguisoirs, des Affileuses ou des Affûteuses. Il faut dire que tous ces personnages du passé sont connus dans la région pour avoir y aiguisé et repassé à tour de bras leurs sabres, épées et baïonnettes.
                Le polissoir de la Fosse à la Cardine de Chevry-en-Sereine n’échappe pas à la règle. Il possède deux rainures parallèles et deux boîtes de débitage rectangulaires typiques d’une tentative de destruction par les carriers. Dans le village il porte le nom de Roche des Gaulois, car comme je vous le disais « ces derniers venaient y affûter leurs épées ».
              Il est situé sur la route de Chevry à Villechasson, à 100 m de la route, au lieu-dit les Pièces Basses, entre deux langues boisées.

POLISSOIR DE LA ROCHE DES GAULOIS (CHEVRY-EN-SEREINE) 

                   Camille Viré a relevé à proximité une grande roche portant « deux grandes excavations, imitant un pied gauche et un pied droit gigantesques »(1). La roche en question a été redressée et poussée dans la haie par Claude M., le propriétaire du champ, il y a quelques années. Les empreintes, assez grandes, sont aussi assez frustes et difficilement identifiables
                Il en avait également repéré d’autres dans les bois de Saint-Ange-Le-Vieil.
                          Ce genre de marques est assez courant dans toute la région, surtout là où les grès pullulent. J’en ai découvert plus d’une dizaine, de tailles diverses, à différents endroits du massif de Fontainebleau. L’opinion couramment admise veut que ces cavités soient d’origine naturelle. Mais jusque là, personne n’a été foutu de les étudier et donc de déterminer leur nature exacte. Certaines sont vraiment surprenantes et leur tracé est presque parfait, au point de se demander s’il ne s’agit pas de sculptures artificielles.
              A Chevry, il est question de « pieds » au moins deux fois. Allons voir de quoi il retourne.



(1) Camille Viré : Cupules, pieds humains, menhir et polissoirs des environs de Lorrez-le-Bocage, Bulletin de la Société Préhistorique Française, 1912, p 63.

Comme une odeur de bruit de pieds
                             La roche du Pied de Femme est un grès qui ressemble à un prisme couché de plus de 2 m de hauteur pour 7 de long. Il est situé dans les bois au sud-ouest de Launoy, à proximité d’un polissoir du même nom. Sa face sud, doucement inclinée, en fait une piste idéale pour la glissade. La paroi opposée est surmontée d’une plate-forme sur laquelle est gravée à l’extrémité droite une jolie empreinte pédiforme, vraiment très réaliste. Et même féminine, si on en croit le nom et la légende qui s’y rapporte. La sculpture mesure environ 30 cm de long. Ce qui fait déjà une bonne pointure pour une nana, approximativement du 46. On raconte ceci à son propos :
 « .. Que les fées avaient coutume de s’ébattre et de danser au sommet de ce rocher et qu’une nuit, un habitant du village vint à passer. Il s’arrêta et les observa longuement, envoûté par leur incroyable beauté, mais peu de temps avant que le petit jour ne se lève, l’une d’elle l’aperçut, et furieuse d’avoir été ainsi surprise et contemplée frappa violemment la roche de son pied, avant de disparaître en compagnie de ses consœurs parmi les arbres de la forêt »(1).
LE PIED DE FEMME (CHEVRY-EN-SEREINE)

                                                                                                
(1) Anonyme : Renseignements sur les traditions, coutumes et croyances des vallées de l’Orvanne et du Lunain, 1930 ? Archives Départementales de Seine-et-Marne (ADSM) 968 F6.

                    Un second toponyme, le Grand Pied, se trouve à un peu plus d’1 km du précédent, en direction de l’ouest. Il est possible que nous ayons affaire à une roche du même type que la première, proportions mises à part. Pour les habitués des lieux, le climat est connu mais chacun ignore pourquoi il porte ce nom. De mon côté, j’ai exploré les lieux plusieurs fois en famille sans jamais rien remarquer. Dans le coin, l’épierrage à grande échelle est devenu comme une sorte d’institution et les agriculteurs n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère. J’imagine que le Grand Pied a pu être déplacé et être balancé en compagnie d’autres blocs, voire même détruit à une époque antérieure. A suivre, donc.

Dirty job !
                           Un lutin local hantait autrefois les bois, au nord du Grand Marchais. Il vivait dans une roche isolée, en forme de croissant de lune, dont l’aspect fait également penser à une niche ou à l’entrée d’une grotte.

LA ROCHE A MAUPRIN (CHEVRY-EN-SEREINE) 

              Le génie s’appelait Mauprin ou Maupin (mauvais pain ?), et la pierre, vous l’aurez deviné, la Roche à Mauprin. Le lieu-dit est ancien et figure sur le plan d’intendance de la commune de 1739. Mauprin était un lutin plutôt malveillant que farceur, limite agressif. Il prenait un malin plaisir, la nuit, à égarer dans les bois les passants attardés.
MAUPRIN, PORTRAIT IMAGINAIRE (CHEVRY-EN-SEREINE) 

L’appel du loup
                       Lors d’une conversation téléphonique, Paul Bailly m’avait parlé d’une rumeur qui circulait jadis dans le village. L’affaire se serait déroulée au climat des Bornes des 4 Chemins, à la pointe nord-ouest de la commune. Il tenait ce témoignage d’un habitant de Saint-Ange-le-Vieil, décédé depuis un bon moment.
           « Au cours du XVIIIe siècle, plusieurs personnes affirmaient avoir rencontré un loup-garou au carrefour de l’actuelle D 123 et l’ancien chemin de Flagy à Chevry. Certaines avaient été poursuivies, attaquées, et jetées dans des fossés. Des moutons et des chèvres avaient été trouvés morts. Les moins crédules racontaient que c’était un petit plaisantin vêtu d’une peau de loup, d’autres que c’était un sorcier, ou un berger qui avait mangé un mouton tué par un loup et subi une sorte de malédiction».

BORNE DE FINAGE (CHEVRY-EN-SEREINE)



La fontaine disparue et le peintre

 « Sur le territoire de Chevry-en-Sereine, près de Lorrez-le-Bocage, à quelques cent mètres du pays, se trouve la Fontaine sacrée de Saint-Julien. Au fond de la fontaine, se trouve sur le bloc de grès l’empreinte du pied d’équidé. La légende raconte que le bon Saint passant par là, fit boire sa monture dans les eaux claires. En souvenir de son passage, il resta l’empreinte du pied du cheval »(1), écrit Frédéric Ede à la fin d’un article consacré à deux gravures de cervidés découvertes au Mont Aiveu. Lorsqu’il mentionne cette tradition, Ede ne se doute pas un seul instant qu’il est en train de l’immortaliser, de lui sauver définitivement la mise. Faveur du hasard ou acte prémonitoire ? Toujours est-il que, sans lui, il aurait été impossible de la tirer de l’oubli dans lequel elle se trouve depuis un bon moment déjà. Autant vous dire, qu’à l’heure actuelle, la situation ne s’est pas arrangée. Après avoir effectué une enquête auprès de plusieurs personnes du village, il m’a été impossible de récupérer la moindre info à son sujet. Pire, tous les gens interrogés, pourtant supposés avoir une certaine connaissance du patrimoine de leur commune, ignoraient jusqu’à l’existence de cette fontaine. A l’évidence, cette amnésie n’est sûrement pas récente. Lecotté, lui aussi, s’aligne sur le mutisme ambiant. Concrètement, on ne trouve sa trace que sur les plans et cadastres, anciens et actuels. Un lieu-dit porte toujours son nom et elle est indiquée sur le Napo de 1824-1857, et dessinée le plan d’intendance du 18ème. Quel aspect pouvait-elle avoir ? Ede nous apprend que « Sur un des bords de la fontaine, un mur de soutènement, par la nature de son marbre, atteste l’âge de la fontaine »(2). Etait-elle véritablement ancienne ? Tout cela n’est peut-être qu’une formule imagée de la réalité.
EMPLACEMENT DE LA FONTAINE SAINT-JULIEN, CADASTRE NAPOLEONIEN (CHEVRY-EN-SEREINE)
                       L’exploration des lieux en été 2012 ne m’a pas permis de retrouver la fontaine, mais de faire le point sur ce qui subsistait et de me donner une vague idée de ce à quoi elle pouvait ressembler. Si on se réfère au cadastre napoléonien, à l’emplacement indiqué(3), on trouve aujourd’hui, à l’intérieur d’un petit bois, le début d’une tranchée assez profonde qui se divise vers l’est, au bout de quelques mètres en une seconde beaucoup plus longue. La première se poursuivant jusqu’à la sortie du bois où elle se perd ensuite dans un champ.  Ces deux tranchées sont remplies de roches énormes, entassées les unes sur les autres et forment comme une sorte de chaussée pour géant. A l’endroit où devait se situer la fontaine, un gros bloc et d’autres plus petits sont également empilés. J’ai essayé tant bien que mal de me glisser entre les rochers et d’écouter pour savoir si un bruit d’eau me parvenait, sans succès. J’en suis venu à la conclusion que soit la source s’est tarie, soit elle a été bouchée, soit elle a été détruite, ou les trois. Toutefois tout cet amoncellement de roches me pose question. Pourquoi les avoir rassemblés de la sorte ? J’ignore également si elle avait des propriétés ou des vertus quelconques, du genre magique, comme celles de la Fontaine Saint-Julien de Vendrest « dont les eaux sont réputées miraculeuses »(4).  
             Ça aurait pu être pas mal, après coup.  






(1 et 2) Frédéric Ede : Le dessin de deux cervidés gravés sur une roche de grès dans la forêt de Fontainebleau, Bulletin de l’ANVL, 1920, p 118.


(3) Cordonnées Lambert : X : 0646,045/ Y : 1060,889, lieu-dit Fontaine Saint-Julien, parcelle 65/66.


(4) Roger Lecotté : Les cultes populaires dans le diocèse de Meaux, Mémoires de la fédération folklorique d'Île-de-France, Paris, 1953, p 60.

On ne la fait pas à saint Gengoult
« En excursion dans le sud du Gâtinais, les légions romaines s’arrêtèrent un beau jour près de Vaux-sur-Lunain. Le soldat Gengoult, et ses compagnons venaient de livrer bataille et crevaient de soif. Excepté la rivière, il n’y avait pas la moindre source, ni le moindre puits à l’horizon et les païens du coin n’étaient pas des plus accueillants. Attisé par on ne sait trop quoi, Gengoult alla au plus simple. Il frappa alors une roche avec sa lance en criant bien fort : ‘Où ma lance touchera, source jaillira’ !  Et, comme attendu, l’eau se mit à sourdre de toutes parts. On édifia une fontaine à cet emplacement. Gengoult s’installa dans la région et se maria. Puis il repartit se battre parce que c’était un légionnaire et que c’était son job. Il ne revint qu’au bout de plusieurs mois. Là, il interrogea sa femme et lui demanda si elle lui avait été fidèle. Elle répondit par l’affirmative, mais méfiant il la fit jurer. Elle jura sur la croix, cracha par trois fois, donna sa parole de scout, mais Gengoult n’était pas pleinement satisfait. Quelque chose lui disait qu’elle était en train de le mener en bateau. ‘’Trempe tes mains et tes bras dans la fontaine’, qu’il lui dit. Elle s’exécuta. Mais l’eau se mit soudain à bouillonner et la femme à hurler. Elle retira aussitôt ses membres sanguinolents de la fontaine, laissant sa peau se détacher comme deux gants MAPA. Gengoult songeur sentit les cornes lui pousser, mais lui pardonna son infidélité car c’était un homme bon. A sa mort il fut sanctifié et devint le patron des mal mariés et des maris trompés, et par analogie également celui des gantiers »(1).
LA FONTAINE SAINT-GENGOULT (VAUX-SUR-LUNAIN)
La fontaine Saint-Gengoult est aujourd’hui à l’abandon. Une volée de marches branlantes permet de descendre dans une minuscule salle souterraine. Un haut bassin en brique permettant de recueillir l’eau occupe pratiquement toute la place. La dernière fois que j’y suis allé, il était vide et poussiéreux. J’ignore si quelque chose y coule encore.


Je laisse le côté historique à l’instituteur Renault et Hélène Fatoux qui ont fait ça très bien :
« La Fontaine de Saint Gengoult fut longtemps l’objet d’un pèlerinage très fréquenté par les populations environnantes qui venaient souvent de plusieurs lieues pour s’y rendre. Le dimanche suivant le jour de Saint-Gengoult (11 Mai) on célébrait une messe en grande cérémonie suivie d’une procession à la fontaine dont l’eau dont l’eau, d’après la légende, avait la propriété de guérir tous les maux. Aussi le jour de la fête de saint-Gengoult, une nombreuse foule recueillie se pressait à l’église qui était toujours trop petite pour loger tous les assistants. Puis c’était une longue procession de l’église à la fontaine. Pour guérir leurs maux, les uns buvaient de son eau, d’autres s’en frottaient telle ou telle partie du corps malade, beaucoup en faisaient provision qu’ils emportaient religieusement chez eux. Aujourd’hui cette croyance est en partie dissipée et les pèlerins à la fontaine de saint-Gengoult deviennent de plus en plus rares »(2).
« La dévotion locale était très ancienne. Pendant de longs siècles et jusqu’en 1895, et depuis 1941, date de la reprise du pèlerinage, il y eut grand’messe chantée et procession de la statue équestre du saint patron portée par les jeunes gens et les jeunes filles jusqu’à la fontaine. Beaucoup de pèlerins des environs venaient et participaient à ce pèlerinage. Les malades buvaient l’eau de la fontaine qui passait pour guérir les maladies lymphatiques et les maux d’yeux, et s’y lavaient même. Afin de rendre les ablutions plus faciles, on édifia contre la paroi du fond un mur de briques, derrière lequel un système permettait à l’eau de couler d’un robinet qui n’existe plus aujourd’hui. Le pèlerinage tomba de nouveau en désuétude, puis fut remis à l’honneur sous l’impulsion de la municipalité en 1980. Hélas, depuis le changement de cette dernière, le pèlerinage a été remplacé par une foire à la brocante le jour de la fête patronale ! »(3).
Sans commentaires.
LA FONTAINE SAINT-GENGOULT (VAUX-SUR-LUNAIN)


(1) Librement inspiré de Roger Lecotté : Recherches sur les cultes populaires dans l’actuel diocèse de Meaux, mémoire n°4 de la Fédération Française Folklorique d’Ile-de-France, 1953, p 162 et Hélène Fatoux : Histoire d’eau en Seine-&-Marne, Tome 2, Amattéis, 1988, p 53.
(2) Instituteur Renault : Monographie communale de Vaux-sur-Lunain, 1888, p 8.
(3) Hélène Fatoux : Histoire d’eau en Seine-&-Marne, Tome 2, Amattéis, 1988, p54.


Strip-tease mortel
                    A Paley, le Pont de César ou Pont de Thierry est jeté au-dessus du Lunain à la hauteur de la Noue Blondeau. Il date vraisemblablement de l’époque médiévale. C’est une passerelle constituée de cinq dalles de pierre supportées par quatre piliers édifiés en faisceaux. Un beau monument lithique comme on en fait plus. On le dit bâtit par les Gaulois ou les Romains. César, et bien après lui, Thierry de Bourgogne, le Thierry de la Bataille de Dormelles bien sûr, l’auraient fait franchir à leurs armées respectives.
La tradition locale est plus sympa. Quoiqu’à bien y regarder, peut-être pas si cool que ça :
« Jadis, à minuit, les Dames Fées venaient se baigner dans le Lunain à cet endroit. C’était sur ce pont qu’elles se dévêtaient et déposaient leurs vêtements. Celui qui les regardait ou dérobait leurs atours mourait dans l’année »(1).
LE PONT DE THIERRY (PALEY)

(1) Anonyme : Renseignements sur les traditions, coutumes et croyances des vallées de l’Orvanne et du Lunain, 1930 ? Archives Départementales de Seine-et-Marne (ADSM) 968 F6.

Encore une histoire de Dame Blanche à la gâtinaise
Lorrez-le-Bocage cette fois. Il a fallu pas moins de cinq saisons de fouilles au lieu-dit Les Closeaux, une première fois en 1910, puis de 1955 à 1977, pour dégager et mettre en valeur le site antique de la Cave aux Fées. Sur une longueur de 400 m, l’endroit était occupé du Ier au IVe siècle par un groupe de trois habitats de luxe, genre villas agricoles, dont il ne reste aujourd’hui plus que les sous-sols. L’édifice le plus imposant comprenait un vaste corps de bâtiment caractérisé par une galerie de façade à colonnes et deux pavillons aux extrémités. Une pièce à hypocauste, en français un système de chauffage par le sol utilisé à l'époque romaine et gallo-romaine, avait été construite postérieurement afin d’assurer chaleur et confort aux habitants. De la mosaïque, du matériel de forge et des fragments de céramique furent récoltés. A l’heure actuelle, la plus grande part des vestiges hors-sol a disparu, mais il y a un peu plus d’un siècle subsistaient encore des pans de murs et d’importants restes de substructions. 
Les lieux commençant sérieusement à disparaître sous la végétation, une série de mesures furent prises il y cinq ans, pour remédier à tout ça. Du 1er au 12 Juillet 2002, une quinzaine de jeunes âgés de 15 à 18 ans ont participé à un chantier organisé par la commune et l'AFDAC. Encadrés par trois adultes, tous ces bénévoles se sont mobilisés pour nettoyer et restaurer le site et baliser un sentier de promenade d’1 h 30.
Depuis 2007, Jean-Claude Larsonneur s’occupe seul de la restauration et de la consolidation des ruines de la villa gallo-romaine de la Cave aux Fées(1).

LA CAVE AUX FÉES (LORREZ-LE-BOCAGE)
                On raconte que l’endroit était habité par les fées et qu’une  statue de Dame Blanche en gardait l’entrée, apportant malheur à celui qui la profanerait. « Cette dernière était belle et connue de tous. A l’Ascension on lui rendait visite car elle était sensée dispenser joie et bonheur. On lui demandait de rendre les terres fertiles, les récoltes abondantes et aussi que l’eau des fontaines ne tarisse jamais. Certaines venaient, espérant un héritier pour la famille. Mais les soirs de pleine lune personne n’avait le droit de s’approcher de la statue, car la Dame Blanche se réveillait, prenait corps et partait se balader à travers la campagne et les marécages des environs de la Cave aux Fées. Ce soir là, personne ne devait la déranger, ou simplement l’observer ou la regarder »(2).
Une légende ancienne était attachée à ce site. La tradition rapporte qu’au XVIIIe siècle un homme incrédule, voulant s’emparer d’un des bras de la statue récalcitrante, mourut écrasé par celle-ci. Voici le détail de cette légende, gore avant l’heure, consignée par Armand Viré le 8 février 1890.
La mère Augeard de Paley en est la narratrice et elle s’adresse à son arrière-petit-fils :
« Il y a bien près de 60 ans que j’épousais Claude Augeard, ton arrière-grand-père. C’était un beau brin de gars dont j’étais fière, solide à l’ouvrage, pas buveur, et savant comme un maître d’école : c’est ce qui le perdit. Orgueilleux de son savoir, il voulait nous en remontrer à tous. Chaque fois que nous parlions de fantômes qui errent le soir autour de la Pierre Frite, il souriait ; et quand on lui montrait dans les prés la main du diable imprimée sur une pierre, il nous traitait de visionnaires. C’était bien pis encore lorsque nous parlions des Dames Fées. Les moqueries ne connaissaient plus de bornes, et il déclarait à qui voulait l’entendre qu’il irait bien seul la nuit à la Cave aux fées, et qu’il en rapporterait, si l’on voulait, le bras de la Dame Blanche qui gardait l’entrée de ce lieu.
Nous en frémissions tous et personne n’osait le défier de peur d’attirer le malheur sur sa tête et sur tout le pays.
Mais par malheur un étranger, l’ayant ouï un jour parler ainsi, le mit au défi d’accomplir ce qu’il disait, et il résolut d’aller la nuit suivante à la Cave aux Fées.
Je fis tous mes efforts pour le retenir ; je lui dis que les Dames Fées lui porteraient malheur, le tueraient peut-être. Il se rit de mes craintes. Je lui représentai alors la misère qui nous accablerait, ses trois pauvres petits enfants et moi, s’il venait à périr. Je vis une larme dans son œil, je le crus ébranlé, vaincu. Mais lui, d’un ton doux, me dit : ‘Ne t’effraie pas, ma chère amie, je ne cours pas plus de danger que quand je vais dans les champs. Dans une heure, je serai de retour ici avec le bras de la statue’. 
Voyant son obstination, j’eus froid au cœur, mais je voulus partager ses périls. Après avoir couché mes trois pauvres enfants, je me préparai à l’accompagner. Il voulut me faire rester à la maison, mais je m’accrochai à ses vêtements, et bon gré, mal gré, je le suivis.
La lune brillait au ciel et semblait me prendre en pitié. Lui, il marchait, aussi calme que s’il allait à ses travaux accoutumés.
Nous arrivions derrière les Closeaux, au petit bois de la Cave aux Fées. Il entre résolument ; les ronces s’accrochaient à nous, les épines nous battaient la figure, je frissonnais. Nous sommes devant la porte ; il entre et se prépare à casser le bras de la Dame Blanche. Je tremble et mets en prière, demandant ardemment au ciel et aux Dames Fées de lui pardonner son forfait. Le marbre grince sous le marteau, s’éclate, mais le bras ne se détache pas. Mon pauvre homme tire à lui ; mais la Dame Blanche se venge ; elle bascule et tombe sur le corps du malheureux. Je sens la cervelle de mon pauvre mari jaillir jusque sur moi, et je m’évanouis en poussant un grand cri. (…) En me réveillant, j’allai chercher de l’aide pour ramasser le cadavre, mais personne n’osa m’assister. Monsieur le Curé, seul, m’aida à remporter les restes écrasés de ton misérable aïeul et à l’enterrer dans le cimetière, malgré l’opposition de tous les gens du pays, qui prétendaient qu’on attirerait sur le village la colère du ciel en enterrant chrétiennement celui que les fées avaient touché et maudit »(3).
LA DAME BLANCHE, LA CAVE AUX FÉES (PALEY) 
(1) Jean-Claude Larsonneur : Une villa gallo-romaine en bocage Gâtinais, le Prospecteur, n°83, Février/Mars 2010.
(2) Tradition orale
(3) Marc Viré : Le site antique de la Cave aux Fées, BGASM, n° 18/19, 1977/78, p 140-142.

Décalcomanie de village néolithique
                    Un peu d’archéologie pour finir.
                     Armand Viré fouilla en 1892, aux environs du polissoir de la Roche au Diable, les vestiges d’un village qu’il qualifia de néolithique. Le site fut découvert 3 ans auparavant par un certain Henri Nivert, carrier et cultivateur de Tesnières. Il ne dénombra pas moins de 11 cabanes mitoyennes, édifiées en pierres sèches de tous calibres. Chacune renfermait un emplacement pour la porte, des cavités ayant servi à recevoir des poutres de charpente et un foyer. Deux, plus grandes, n’en possédaient pas. Elles mesuraient 2,50 m sur 3. A l’extrémité Est se tenait un four, tapissé de cendres, avec devant l’entrée un énorme tas de coquilles d’escargots. Le groupe d’habitations formait un alignement unique s’étendant d’Est en Ouest, les portes s’ouvrant vers le sud. Plusieurs haches en grès et silex, une en bronze très oxydée, des lames, des fragments de meules à grains et de poterie rouge et noire furent récoltés à l’intérieur et à l’extérieur des cellules.
                C’est tout pour ce canton


PLAN DU VILLAGE NÉOLITHIQUE DE LA ROCHE AU DIABLE  (PALEY) 




Les Sarrasins prononcent leurs veaux
       D’une architecture comparable à celle de la forteresse de Blandy les Tours, le château de Villemaréchal possédait de grands murs d’enceinte, quatre tours d’angle et un donjon carré implanté dans la muraille. Pendant la révolution, ce château fut vendu comme bien national et détruit en partie, comme en témoigne les ruines encore visibles sur le cadastre napoléonien. Au cours des années qui suivirent, il fut exploité comme carrière et ses pierres finirent en matériaux pour la construction. D’après François Souchal : « Des agents immobiliers firent l’acquisition du bien national. Il fallut, paraît-il, le canon pour venir à bout de la grosse tour du donjon. Tout le parc fut déboisé et converti en terres agricoles. Seuls subsistent des fondations et des fossés »(1).
 
EMPLACEMENT DE LA CAVE AUJE  (VILLEMARECHAL)
Une ferme fut construite sur l’emplacement de ce château. Aujourd’hui les bâtiments sont le siège de l’association du Cirque Baroque et ne servent plus à l’exploitation agricole.  
On a crut pendant longtemps(2), que ce château était autrefois habité par des Sarrazins. Ils adoraient la statue d’un veau d’or, cachée dans un souterrain aménagé sous le château. Lorsque les seigneurs de Villemaréchal prirent possession des lieux et chassèrent les anciens occupants, la statue demeura sur place. Le tunnel dans lequel était supposée se trouver l’idole, débouchait environ 500 m plus loin au Nord-ouest, à peu près au centre d’une petite parcelle cultivée, au lieu-dit : Cave Aujé. A cet endroit, la tradition rapporte que se trouvait l’entrée d’une cave, même si aucun document écrit ou témoignage n’existe pour corroborer ces indications. Notée sur le cadastre napoléonien, elle devait se situer à peu de choses près au point : X : 0638.648 / Y : 1063.221. Ce nom Aujé, serait pour certains(3), une déformation des mots aux geais. Il y a une centaine d’année de ça, durant les labours, une portion du souterrain ou le plafond de cette cave se serait effondré sous le poids d’un cheval. Cet événement rapporté dans le cahier du rentier parisien m’a été confirmé récemment par Mr Jean Picouet de Villemaréchal. Suite à cet accident, le propriétaire du terrain décida de combler la cavité. Aux dernières nouvelles, la statue du veau d’or y serait toujours enterrée.


(1) François Souchal : Le Vandalisme de la Révolution, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1993,  p 167.
(2) Cahier Pierre V, date du 03/08/1963.
(3) Paul Bailly : toponymie en Seine-et-Marne, et Claude-Clément Perrot.


BIBLIOGRAPHIE

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